Partout en France des listes participatives s’engagent pour les élections municipales de mars 2020. Ces mouvements collectifs bousculent les partis traditionnels et tentent de redéfinir la politique au niveau local. Reportage dans la Drôme, à Romans-sur-Isère, où militant·es de gauche, citoyen·nes et Gilets jaunes s’unissent pour les municipales 2020.

Par un doux dimanche matin dans la Drôme, à Romans-sur-Isère, le marché prend ses quartiers. Les victuailles débordent sur les étals. Fruits et légumes de saison se mêlent aux spécialités locales : les ravioles, la pogne et l’immanquable picodon. Mais une agitation trouble cependant cette routine. Dans moins d’un mois, la ville doit désigner un nouveau maire, ou plutôt une nouvelle équipe municipale. Dans les rues pavées, les candidat.es battent campagne. Trois listes émergent : les sortants, menés par Marie-Hélène Thoraval (Les Républicains), celle du patron de prêt-à-porter Thomas Huriez et une liste participative de gauche, le Collectif pour Romans. Les deux premières ont tenté d’obtenir l’investiture de La République en Marche, sans succès.

 

Campagne éléectoral Romans sur Isère
Chaque dimanche, ils sont une dizaine de militants du Collectif Pour Romans à faire campagne aux abords du marché. Photo : Tim Buisson pour Radio Parleur.

En 2014, les élections municipales ont évincé les socialistes, au pouvoir depuis 1977 du paysage politique local. La gauche a dû se réinventer. À force de manifestations contre la politique municipale actuelle et de combats pour sauver associations et lieux emblématiques de la ville, le Collectif pour Romans prend forme. Il regroupe 128 adhéren·tes et 400 sympathisant·es. Pendant des mois, le collectif organise des réunions publiques thématiques ouvertes. Des ateliers recueillent la parole des habitant·es et identifient leurs préoccupations. « On les a mises en forme, synthétisées et priorisées pour élaborer notre programme », explique Denise, qui a rejoint l’aventure il y a plus d’un an.

Commencer par le bas, pour que fleurissent d’autres choses au niveau national

À la rentrée 2019, un “atelier candidature” s’est constitué. Il rassemble des volontaires et des plébiscité·es. Certain·es ont été proposé.es pour leurs qualités et leurs compétences, d’autres tiré·es au sort. Près de cinq cent courriers ont été envoyés pour étoffer le groupe. « J’ai été tirée au sort. J’étais sur mon canapé quand j’ai vu ce courrier qui m’a tout de suite interpellée, raconte Kalo Rossetto, auxiliaire de vie spécialisée dans le handicap mental. Il y a une volonté de s’inclure dans la politique, de reprendre la main sur tout ça. Au niveau local on sent qu’on peut faire déjà des choses. Je pense que c’est ça le principe des listes citoyennes communales. Commencer par le bas pour qu’après fleurissent d’autres choses au niveau national. »

Un exemple de parole recueilli par le Collectif pour Romans durant la campagne des municipales 2020 lors d’un atelier. Photo : Tim Buisson pour Radio Parleur.

Sur les 41 noms de la liste, trois ont été tirés au sort. Un geste de démocratie locale participative que le sociologue Guillaume Gourgues, chercheur au laboratoire Triangle à l’université Lumière-Lyon-II, analyse dans Politis : « Ils veulent aller au cœur du fonctionnement municipal pour le changer en profondeur. C’est un phénomène absolument passionnant. Il ne va pas renverser la planète, mais c’est un point de départ. »

S’armer d’outils participatifs pour impliquer les habitants

Les mouvements municipalistes connaissent un regain d’intérêt depuis quelques mois. Théorisé par l’écologiste américain Murray Bookchin dans les années 1970 dans sa version “libertaire”, il vise à « rem­pla­cer l’État, l’urbanisation, la hiérar­chie et le capi­ta­lisme par des ins­ti­tu­tions de démo­cra­tie directe et de coopé­ra­tion », en luttant contre les inégalités sociales et la destruction de l’environnement. Il repose sur deux axes : reprendre le pouvoir au niveau local et associer les citoyens. 

Jugement majoritaire et tirage au sort

À Romans-sur-Isère, en plus de la tête de liste et du premier adjoint, trois binômes ont été constitués par la méthode jugement majoritaire [1]: transition démocratique, transition écologique et justice sociale, les trois piliers du programme électoral. Un comité de suivi, composé d’une dizaine de personnes, veille au respect de la démarche d’émergence de la liste.

Pour impliquer les citoyen·nes dans le processus démocratique, la liste s’appuie sur la transparence (captation vidéo des conseils municipaux, édition d’un bulletin d’information) et la mise en place d’instances de participation. Ils mènent des enquêtes publiques, organisent des tirages au sort, des budgets participatifs par quartier et mettent en place une plateforme numérique d’expression citoyenne. « Ça ne marchera pas à tous les coups. Mais c’est en insistant et en recommençant qu’on peut donner la possibilité aux gens de participer », veut croire Émilie Jungo, membre du binôme chargé de la transition démocratique.

Pour constituer la liste des municipales 2020 à Romans-sur-Isère, les candidats pouvaient se porter volontaire, être plébiscités ou encore être tirés au sort. Photo : Tim Buisson pour Radio Parleur.

Le collectif sait qu’il devra bousculer les habitudes pour convaincre. « La participation citoyenne, ça demande surtout des moyens humains. Peut-être un peu d’argent. Mais si on veut faciliter l’implication des habitants, c’est tout une culture politique qui est à changer », confie Julie Maurel, désignée tête de liste.

300 listes participatives dans la bataille des municipales en mars

Le site Action commune, qui encadre et aide les démarches citoyennes, a recensé plus de 300 listes citoyennes prêtes à se lancer en mars. Au niveau national, le magasine Bastamag! a identifié dix villes dans lesquelles des listes “citoyennes” affichent leurs ambitions pour les municipales. Avec, pour dénominateur commun, la justice sociale, l’écologie et la volonté de renouveler la démocratie. Dans la Drôme, six listes citoyennes sont répertoriées : Dieulefit, La Bégude-de-Mazenc, La-Chapelle-en-Vercors, Luc-en-Diois, Crest et Saillans. Ce dernier village de 1 300 âmes a été pionnier en 2014 avec la liste “Autrement pour Saillans … Tous ensemble” créé contre le projet d’implantation d’un centre commercial décidé par l’ancien maire.

Le Collectif pour Romans s’en inspire. « On a pleins de points de convergence avec Saillans. Déjà, on est pratiquement sur le même territoire. Mais on est une ville avec beaucoup plus d’habitants, plus de personnes sous le seuil de pauvreté. En termes d’échelle c’est incomparable », analyse Julie Maurel.

La tête de liste observe également avec attention la gestion de Grenoble (Isère) par Éric Piolle (EELV) qui brigue un second mandat. Lui aussi tente de mettre en place des outils participatifs. Le maire de la capitale des Alpes a d’ailleurs adressé son soutien à la liste citoyenne de Romans-sur-Isère pour les municipales 2020. Ancienne ingénieure à EDF et membre du collectif, Élisabeth Bouson conclut : « L’objectif n’est pas de prendre le pouvoir. L’objectif, c’est de se réapproprier la cité et de s’investir. Personne ne fera changer les choses à notre place ».

À Romans-sur-Isère, reportage de Tim Buisson. Photo de Une : Tim Buisson pour Radio Parleur.

[1] : BALINSKI Michel, LARAKI Rida, « Jugement majoritaire versus vote majoritaire. (via les présidentielles 2011-2012) », Revue française d’économie, 2012/4 (Volume XXVII), p. 11-44.

[2] : BOOKCHIN Murray, “Pour un municipalisme libertaire”, Atelier de création libertaire, 2003.

[3] : Originaire de la vallée du diois, la journaliste Maud Dugrand a consacré dernièrement un ouvrage sur cette expérience de démocratie participative. DUGRAND Maud, “La petite République de Saillans”, éditions du Rouergue, 2020.

 

  1. 16
  2. 20
  3. 3

La production de ce sujet a nécessité :

Heures de travail
€ de frais engagés
membres de la Team
Parleur sur le pont

L’info indépendante a un coût, soutenez-nous