Après deux mois de grève et neuf journées nationales de mobilisation contre la réforme des retraites, de nombreux secteurs ont opté pour leur propre calendrier d’actions. Recherchant la visibilité, ils ponctuent chaque jour de mobilisation par des actions ciblées, locales et parfois créatives. Enseignant·es, égoutier·es, avocat·es et professionnel·les du spectacle nous expliquent ce choix.

Jeudi 6 février, à Paris, sous un soleil éclatant, la manifestation intersyndicale s’élance depuis le parvis de la Gare de l’Est en direction de la place de la Nation. Environ 130 000 personnes, selon la CGT, défilent avec le même mot d’ordre depuis le 5 décembre : le retrait de la réforme des retraites prévue par le gouvernement.

Si elle reste nécessaire, la manifestation ne suffit plus

Les cortèges s’enchaînent sur la place de la République et les manifestant·es remplissent le boulevard Voltaire. Mais le dispositif policier est impressionnant : des barrières antiémeute bloquent la majorité des rues jusqu’à la place de la Nation. Les véhicules des CRS tournent autour du lieu d’arrivée de la manifestation, tout comme les camions à eau garés en embuscade. Pourtant, la manifestation se déroule sans encombre : le cortège de tête avance, encadré de près par les forces policières. Une atmosphère anxiogène pour certain·es manifestant·es, qui continuent néanmoins à battre le pavé.

Beaucoup sont d’accord pour dire que la manifestation est le moyen d’afficher son soutien au mouvement social en cours. Olivier Besancenot, membre du NPA, y voit aussi l’occasion de “toucher plusieurs secteurs, plusieurs professions et de nouer des alliances, d’apprendre à se connaître”. Selon lui, le “noyau de la grève” se déplace : les cheminot·es à la SNCF et le personnel de la RATP ne sont plus en grève mais “les égoutiers, les éboueurs” ont pris le relais.

Savoir transformer une grève

Entre les grandes journées de mobilisation contre la réforme des retraites, qui rythment depuis deux mois la mobilisation, chaque profession prépare et réalise des actions créatives et ciblées pour protester contre un projet de réforme injuste. Olivier Besancenot explique que “ça vient de partout, pas que des syndicats”. Les avocat·es “ont pris le train en marche” selon Sylvie, avocate au barreau de Paris, qui “refuse de [se] satisfaire du moindre aménagement. Nous ce qu’on veut c’est le retrait total”. Les actions dans les tribunaux se multiplient : danses de haka, jetés de robes devant la ministre de la justice Nicole Belloubet.

Même son de cloche à l’opéra de Paris où les danseuses et les danseurs ont donné un ballet sur le parvis pour témoigner le refus d’un régime de retraite particulièrement néfaste pour leur profession. Mathias Bergman, délégué syndical à Sud-Spectacles et régisseur vidéo à l’opéra de Paris lutte contre la suppression de la caisse de retraite spécifique qui date de Louis XIV. Toutes les catégories de l’opéra sont mobilisées : danseurs, musiciens, artistes des cœurs, techniciens et administratifs. Après avoir annulé de nombreux spectacles en décembre, “on annule ceux des journées nationales de mobilisation” explique-t-il. Pour les actions spécifiques, “ça s’est organisé depuis la base, et pas sous la houlette des syndicats. C’est très médiatique et ça donne une lisibilité au mouvement, ainsi qu’un élan de créativité pour d’autres secteurs“.

Gaëlle, professeure de pratique artistique au conservatoire dépend du statut d’agente territoriale, dont la réforme des retraites va précariser cet emploi pour celles et ceux qui ne sont pas titulaires. Mais en tant que musicienne, elle “refuse cette société capitaliste basée sur l’argent” dont elle se sent très éloignée. Un collectif vient de se créer, pour accentuer la solidarité et les actions collectives dans les communes pour alerter le public.

Des actions créatives et ciblées, au-delà des grandes mobilisations

Les égoutiers, présents dans le cortège, racontent aussi leur action qui s’est déroulée la veille, le 5 février. Avec la CGT de la police scientifique, ils et elles ont imaginé ensemble une reconstitution de scène de crime pour “symboliser la mort des services“. Nicolas Joseph, égoutier à la Mairie de Paris depuis 18 ans et responsable du service d’urgence des égouts, explique que les “modes d’actions ont changé“. A l’image d’autres professions, les égoutiers ont, eux aussi, déposé leurs outils de travail devant le ministère des finances et ont “reçu beaucoup de soutien“. Mobilisé depuis le 5 décembre contre ce projet de réforme “qui nous impose un changement de vie qu’on a pas souhaité“, Nicolas Joseph reconnait qu’en manifestation “sentir le soutien populaire, ça fait chaud au cœur“.

Les professeur·es sont également mobilisé·es. Sandrine et Lisa, professeures au lycée professionnel Théophile Gautier, dans le 12ème arrondissement parisien, ont participé aux actions de la matinée devant le Rectorat de Paris : construire un mur de la honte aspergé de sang pour “alerter sur cette saignée de l’enseignement“. La cause ? La baisse du nombres d’heures attribuée aux établissements, “de toute façon imposée malgré les motions de refus“. Mais la transformation du Bac en épreuves communes continues, occasionnant de nombreuses protestations lycéennes et une répression policière importante choque aussi : “l’école est un lieu sacré, on entre pas une salle de classe comme ça et le professeur est souverain“.

Toutes ces réformes se suivent, avec le même but selon Sandrine : “casser ce qu’on a, il faut donc se mobiliser ensemble contre la fin du service public“. “J’ai l’impression d’être un pion encore plus avant, je me sens trahie” raconte Lisa. La RATP appelle désormais à un lundi noir dans les transports le 17 février prochain, rejoignant une idée lancée par Olivier Besancenot : “une manifestation massive à Paris et trois jour de grève avant ou après pour bloquer l’économie du pays“.

Un reportage d’Étienne Gratianette et Sophie Peroy-Gay.

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