L’affaire Rémi Fraisse sera-t-elle clôturée jeudi 9 janvier ? Le délibéré de la procédure d’appel engagée par la famille Fraisse sera prononcé au tribunal de grande instance de Toulouse ce jour-là. Les proches du jeune botaniste, mort en 2014 lors d’une opération de maintien de l’ordre au barrage de Sivens, continuent de chercher « une justice » mais sans illusions quant à l’issu du délibéré.

Les appels au rassemblement ce jeudi, devant le tribunal de grande instance de Toulouse, se multiplient sur les réseaux militants. Une occasion d’être présent.es pour le délibéré de la procédure d’appel dans l’affaire Rémi Fraisse. En première instance, Me Claire Dujardin, avocate de Véronique et Chloé Fraisse, la mère et la sœur du jeune homme, conteste le verdict de non-lieu et souhaite que “la faute” soit reconnue par l’institution. La quête de justice se prolonge ainsi en appel. 

Ce jeune botaniste, militant écologiste de 21 ans, est mort dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014 pendant une manifestation contre le projet de construction du barrage de Sivens. “La plus grande manifestation qui a eu lieu à Sivens”, se souvient Grégoire Souchay, qui a enquêté sur l’affaire pour Reporterre. Le projet, contesté par les associations de protection de l’environnement avait rassemblé une forte opposition allant jusqu’à engendrer une ZAD (Zone à Défendre) autour du site. Ce jour-là, Rémi Fraisse “fait la fête. Parce qu’il y a un aspect très festif dans cette journée” se remémore le journaliste indépendant, à l’origine de la publication de l’affaire. En fin de journée, alors que les gendarmes ne devaient pas être présents à cet endroit, ils gardent la “zone de vie”, soit “l’endroit où viennent les machines de chantier” pour empêcher toute incursion des manifestant.es. C’est là que, la nuit du 25 octobre entre minuit et 2h00 du matin, une grenade GLI-F4 lancée par un gendarme explose entre le sac et le dos de Rémi Fraisse, entraînant sa mort sur le coup.

Une instruction à minima et une hiérarchie inatteignable 

Cinq ans après, la bataille judiciaire autour de la mort du militant écologiste se poursuit. Rapidement, l’enquête s’oriente vers un tir de grenade offensive mortel lancé par les gendarmes. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur à l’époque, fait alors suspendre l’utilisation de grenades offensives de type F1. En janvier 2015, le militaire à l’origine du jet de grenade est placé en garde à vue, mais ne sera pas mis en examen, ni aucun de ses collègues. Le commandant et le lieutenant-colonel de gendarmerie qui ont donné les ordres cette nuit-là, sont entendus, puis placés sous le statut de témoins assistés. Trois ans plus tard, les juges d’instruction rendent un non-lieu en faveur du militaire.

En octobre 2019, la procédure se déplace au tribunal de grande instance de Toulouse. La chambre d’instruction y examine en appel l’ordonnance prise en janvier 2018 pour le non-lieu. Le parquet considère en effet qu’il n’y a pas lieu de poursuivre et de présenter ce dossier devant un tribunal. Pour le procureur, qui a rappelé à cette occasion qu’il y avait eu une instruction fouillée et de nombreuses expertises, “l’emploi de la force a été conforme et réglementaire” à la situation sur le terrain à ce moment là.

Pour Me Dujardin et les avocats de la famille de Rémi Fraisse, l’instruction s’illustre surtout par une suite de difficultés qu’ils vont devoir affronter tout au long de la procédure. La demande de reconstitution est d’abord rejetée, “ce qui est totalement anormale” estime Me Dujardin. Pour l’avocate de la famille, d’autres personnes auraient dû se trouver auditionnées par les juges d’instruction dans cette affaire. En ligne de mire : le préfet du Tarn, son sous-préfet, le directeur de la gendarmerie nationale ou encore le ministre de l’Intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve. “On demande beaucoup d’actes, et la plupart sont rejetés” se souvient Claire Dujardin. “On va se rendre compte au fur et à mesure que l’instruction va être menée au minimum.”

Rémi Fraisse
Lors d’un rassemblement à Paris pour soutenir la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en 2018, une banderole rappelle la mort de Rémi Fraisse. Photographie : Graine pour le collectif LaMeute.

Bientôt devant la Cour européenne des droits de l’homme ?

La famille garde peu d’espoir concernant l’issue de la procédure. “C’est un long combat judiciaire. Il y a des hauts et des bas… Et des moments un peu difficile à franchir” observe Me Dujardin en évoquant les parents de Rémi Fraisse. Au deuil douloureux s’ajoute la nécessité de comprendre ce qui s’est passé et de faire justice. “C’est inimaginable de se dire qu’on va clôturer en France le dossier en disant que c’est un accident.” Lors de cette longue procédure, le jeune homme devient l’icône de la répression policière. “Elle a l’impression que le nom de Rémi ne lui appartient plus, que c’est devenu commun à plein de monde et plein de gens” explique l’avocate de la mère de Rémi Fraisse, qui évoque les liens avec différents collectifs de personnes tuées par la police, comme les familles d’Adama Traoré et de Steve Maia Caniçao.

Le combat risque aujourd’hui de se jouer à un autre niveau, si la chambre d’instruction confirme l’ordonnance de non-lieu. Me Dujardin prépare déjà le pourvoie en cassation afin d’épuiser les voies de recours internes. Elle compte aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme. Pour la juriste, “dés lors qu’il y a une opération de maintien de l’ordre et que l’Etat a utilisé des armes de guerre contre des populations civiles (…) qu’il y a atteinte au droit à la vie et à la sûreté, il faut que ces actes ne restent pas impunis”.

La construction d’un “Sivens bis” ?

Malgré l’abandon du projet initial du barrage de Sivens, suite à la mort de Rémi Fraisse, un projet de “Sivens bis” pourrait bien voir le jour. L’enjeu est désormais de savoir quels sont les besoins réels en eau de cette vallée et s’ils nécessitent bien la construction d’un nouveau barrage… à quelques pas de l’endroit où est mort Rémi Fraisse. Pour Grégoire Souchay, le projet est difficilement tenable politiquement. Les concertations continuent pour savoir ce qui doit être fait. “On attendait une décision à Noël, ça va peut-être avoir lieu en janvier ou après les municipales.” Pourtant, pour certains agriculteurs l’idée d’un barrage n’est pas exclue. Pour les associations écologistes, en revanche “c’est inenvisageable non seulement d’un point de vue technique, mais aussi d’un point de vue moral. Ça reste un lieu marqué par la violence, Sivens.”

Reportage réalisé par Thomas Hiahiani, photo de Une par Graine, du collectif LaMeute

  1. 12
  2. 0
  3. 3

La production de ce sujet a nécessité :

Heures de travail
€ de frais engagés
membres de la Team
Parleur sur le pont

L’info indépendante a un coût, soutenez-nous