Surmenage, engorgement des services et manque de moyens : le personnel des Urgences ne cesse de crier son mal-être depuis de longues semaines. Une troupe de cinq comédiens s’est immergée pendant trois mois aux urgences de Limoges pour tenter de retranscrire sur scène les dérives du système hospitalier.
Sophie Lewisch, Antoine Guillomard, Hélène Bertrand, Charles Pomel et Raphaël Ménat ; rejoints entre temps par Florentin Martinez et Simon Cadranel. Ces comédien.nes font renaître sur scène les maux et les joies de l’hôpital à travers les témoignages de soignants, patients et médecins. Leur pièce, commandée par le centre hospitalier de Limoges, s’intitule « Mais où est donc Hippocrate ? ». L’utilisation de cette figure mythique est un moyen détourné de se demander si ce serment, qui liste les normes déontologiques que doit respecter le corps médical, a encore un sens aujourd’hui. Sur scène, les costumes se résument à des vêtements noirs ou à des blouses blanches. Le décor vide et la lumière blanche perçante rappellent la froideur des chambres d’hôpital.
La pièce commence sur un homme courbé, qui gesticule avec souffrance. Lorsqu’il se redresse, il redevient un soignant. Il raconte son dévouement pour son métier, et combien cela lui coûte aujourd’hui : « C’est l’accumulation qui est traumatisante. Parfois je me cachais dans les chiottes pour pleurer ».
SOS Urgences saturées
Le personnel des urgences se sent dépassé par le nombre de patients, qui ne cesse d’augmenter, alors que les restrictions budgétaires empêchent le développement de moyens matériels et humains. Mais c’est le système médical dans son ensemble qui pose problème selon eux. En effet, le service des urgences, comme son nom l’indique, ne devrait traiter que des urgences … Or, il reçoit de plus en plus de patients aux problèmes mineurs.
D’abord en cause, le prix d’une consultation chez un généraliste : « On ne devrait pas avoir à s’occuper des rhumes. Sauf qu’aller voir un médecin en ville, c’est 25 euros. Ceux qui n’ont pas les moyens viennent là où on ne leur demande pas de payer ». Le service traite donc autant de l’urgence sociale que de l’urgence médicale. « Légalement quand quelqu’un arrive, on n’a pas le droit de le refuser ». D’où une saturation constante des services, comme en témoigne cette réplique dramatique : « On a annoncé à ma mère qu’elle avait une tumeur de 6cm et qu’on ne l’opérerait pas avant un mois parce qu’il n’y avait pas de bloc disponible au CHU. »
La pièce témoigne aussi d’un suivi psychologique qui laisse à désirer. « Ma mère voyait quelqu’un une fois tous les trois mois. Le premier jour de la chimio, on lui a juste donné une carte pour acheter des perruques ». La famille reste un soutien majeur. Une scène évoque avec lamentation ceux qui sont seuls.
Quand le financier prime sur l’humain
Les hôpitaux ne sont pas considérés comme des entreprises stricto sensu, puisqu’ils ne poursuivent pas un objectif économique. Mais cette affirmation est aujourd’hui de plus en plus remise en question.
« Certains changent régulièrement les infirmières de service pour éviter toute connivence. Vous comprenez, si une infirmière sympathise avec un patient, elle prendra plus de temps pour discuter avec lui. C’est donc une perte de productivité. »
Le collectif Inter-urgence recensait mi-mai une soixantaine de services en grève dans toute la France, parfois depuis plusieurs mois. L’accueil des patients reste néanmoins assuré. Les soignants sont à bout de souffle : près de 10% sont en burn out, comme 22% des médecins urgentistes. On leur demande d’aller vite, ce qui les rend plus susceptibles de faire des erreurs. « Aujourd’hui, la priorité c’est un fonctionnement managérial et économique des hôpitaux », estime Sophie Lewisch, l’une des comédiennes « C’est fou de se dire que finalement la santé est gouvernée par la thune », déplore un étudiant.
Relève assurée ?
Les études de médecine sont de plus en plus informatisées. Le système de concours les conditionne à apprendre un maximum de théorie en un minimum de temps. « Les étudiants en médecine, leur métier, c’est le concours », entend-on dans la pièce. Seulement, la pratique est complètement négligée. « Dans dix ans, les jeunes médecins sortiront sans avoir jamais touché un patient ». Or, l’aspect relationnel est une base fondamentale du métier.
De plus, le nombre d’admis demeure faible : environ 8 200 étudiants pour 2018. Et seulement 20% sont passés en deuxième année. Le projet de loi santé de 2019 prévoyait la « suppression du numerus clausus », le taux d’étudiants pris au concours fixé à l’échelle nationale. La mesure était censée palier au manque de médecins. Seulement, parmi les 60 000 candidats, tout le monde ne pourra pas aller au bout. Certaines universités sont désormais chargées de fixer leur quota en fonction des besoins du territoire. Parfois, elles se sont retrouvées avec un numerus clausus plus strict qu’avant.
« On ne peut pas augmenter le nombre de médecins sans augmenter les moyens des hôpitaux, car tous les services ne peuvent pas prendre des stagiaires et des internes ». On en revient donc au problème financier dans l’institution hospitalière.
« On ne leur apprend plus l’empathie. C’est un métier qui devient technique, et de moins en moins humain », déplore Sophie Lewisch. Elle ajoutera que le concours de médecine, fonctionnant par QCM, est également source d’inégalité : « ceux qui sont en difficultés ont de moins en moins accès aux professeurs pour les aider, puisque tout passe par informatique. »
Problème du système
Le serment d’Hippocrate est censé garantir une certaine transparence des décisions prises : « J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance ». Pourtant, les comédiens font remarquer que certains soignants n’expliquent pas assez au patient, par manque de temps.
Comme précédemment mentionné, les équipes sont très souvent changées pour éviter toute connivence. La communication entre elles est parfois mauvaise, voire totalement absente. Cela pose certains problèmes de soins, des négligences qui pourraient être évitées.
De plus, ne pas donner trop d’information est une sécurité pour les soignants. Car les Français sont extrêmement procéduriers, prompts à saisir la justice à la moindre petite erreur. Donner le minima d’information est donc une façon de se prémunir contre une éventuelle action juridique.
A l’ère d’internet, les médecins se heurtent également à des patients qui remettent en cause leur diagnostic. Certains viennent parfois avec une idée préconçue de ce qu’ils ont, même quand les soignants les contredisent. Il y a donc une perte de confiance généralisée envers les médecins.
« Les patients ont changé mon regard sur la vie »
Le but de cette pièce n’est pas pour autant d’être pessimiste : « Mais vous venez à l’hôpital et vous ne visitez que des secteurs où on meurt. C’est aussi un lieu plein de vie ! » fait remarquer avec humour un médecin.
Les comédiens se retrouvent donc dans le secteur de rééducation. Ils retranscrivent sur scène l’histoire d’un accidenté de moto heureux et plein de vie. « Pourquoi je suis là ? Bah pour la cuisine de Sylvie tiens ! ». Plein d’humour, de positivité, il met en avant le fait qu’on lui ait sauvé la vie, même si la solitude se fait parfois sentir.
Beaucoup de soignants savent mettre en avant l’aspect humain de leur métier : « les patients ont changé mon regard sur la vie », déclarait l’une d’elle. Au-delà des soins, on parle de la joie, des rencontres, de la vie qui règne aussi dans les hôpitaux : « J’aurais voulu vivre 50 ans de plus pour travailler 30 ans de plus. C’est un métier magnifique. »
La metteuse en scène finira sur ces mots : « Ce que je retiens de cette expérience, c’est la passion, la force et l’humanité des soignants. Ils sont fatigués mais n’abandonneront pas leurs patients. »
Un reportage réalisé par Coline Desselle.