Malgré un diplôme de licence obtenu au terme de trois ans d’étude, des milliers d’étudiant·es se retrouvent sans inscription universitaire à quelques jours de la rentrée universitaire. Ils et elles ignorent si leurs études pourront se poursuivre, faute de places en master. La généralisation de la sélection en quatrième année, la réforme du droit à la poursuite d’études ainsi que les contextes sanitaire et démographique expliquent en partie cette situation.

Le 24 juin 2021 le hashtag « #EtudiantsSansMaster » se retrouve à la tête des tendances Twitter et visibilise la détresse de nombreux·ses étudiant‧es livré·es à elles et eux mêmes. « Ma fac ne m’a pas du tout aidé. On a eu une réunion avec notre directeur de licence consacré aux cas des étudiants sans master. Même lui a été incapable de nous proposer des solutions », déplore Léa. Cette étudiante a essuyé 85 refus sur 101 de ses candidatures dans 32 universités différentes avant d’obtenir une place pour continuer ses études.

Au delà du manque d’accompagnement, c’est aussi l’absurdité d’un système interrompant brutalement le parcours d’étudiant·es qui est critiqué par Margot, diplômée d’une licence de droit. « C’est illogique de faire trois promos de 300 personnes dans une seule université et proposer un master avec 25 places. Pour moi ça n’a aucun sens. »


Sur le même thème : LPPR : l’avenir des facs et labos devant le conseil des ministres


Un droit légal à la poursuite d’étude… dans la limite des places disponibles

Plusieurs éléments expliquent la situation actuelle. Cependant, « le problème n’est pas nouveau » rappelle Ihssane, étudiante en droit et syndiquée chez Solidaire Etudiant‧es. Tout d’abord, les tensions particulières de cette année pourraient s’expliquer par la réforme du droit à la poursuite d’étude1. Instauré en 2017 ce dernier disposait que les étudiant·es ayant validé leur licence sans obtenir de place en master pouvaient solliciter le rectorat pour qu’il leur soumette trois propositions de formation.

 

Entre 2019 et 2020 le nombre de saisines a augmenté de 129%, et à la rentrée 20212 ce droit à été réformé. Les critères permettant de saisir le rectorat ont été durcis. Par exemple, les étudiant·e·s doivent désormais fournir la preuve de cinq refus (au lieu de deux). Certain·es étudiant·es se retrouvent ainsi bloqué·es dans l’attente de refus supplémentaires pour pouvoir saisir le rectorat. Un laps de temps précieux perdu, durant lequel leurs chances d’obtenir un master s’amenuisent. D’autre part, le rectorat pourra maintenant proposer des formations hors de l’Académie de l’étudiant·e. Enfin, le nombre de formations proposées passe de trois à deux.

Dans un second temps, la généralisation de la sélection à l’entrée en master, et non plus entre la première et la seconde année, peut aussi expliquer l’embouteillage dans l’accès aux formation. Bien que votée en 2017, cette réforme ne s’applique dans toutes les universités que cette année.

#EtudiantsSansMaster Etudiants sans master
A l’approche de la rentrée les témoignages étudiants se multiplient sur twitter sous le #EtudiantsSansMaster. Capture d’écran twitter.

Reste enfin l’argument démographique. La rentrée 2021 coïncide avec l’arrivé en cycle master des étudiant·es né‧es dans les années 2000. Une période durant lequel le taux de natalité a connu un sursaut.

Repenser l’orientation des étudiant‧e‧s en amont

Le résultat, c’est un afflux massif de candidatures cette année. Pour Aurélien Antoine, professeur de droit public et co-directeur d’un master 2 de contrat public ,« la difficulté ne se pose pas tant au niveau des masters. Elle se situe bien plus en amont : il devrait y avoir moins de monde en faculté de droit ».

Selon le professeur, le libre accès à l’université doit être conservé mais il convient de s’interroger sur l’orientation des étudiant‧es en amont. D’après lui, l’épanouissement dans les études devrait constituer le critère principal d’orientation des étudiant‧es. Il déplore que cette dernière soit souvent conditionnée par l’excellence supposée de certaines filières. « L’inscription dans une filière ne se suffit pas à elle même, il s’agit plutôt d’identifier les domaines dans lesquels un enfant pourra s’épanouir […]. Pour un fils ou une fille de cadre il ne devrait pas y avoir de honte à décider de passer un CAP pâtisserie. Nombre de métiers peuvent être épanouissants mais malheureusement, en France ils sont dévalorisés ! », s’exaspère-t-il.


Sur le même thème : Derrière le #14septembre : TikTok, un outil de lutte féministe et lycéen


Quatre mille nouvelles places… sans moyens supplémentaires

Dans une conférence de presse le 9 juillet 2021 la ministre de l’Enseignement supérieur a annoncé la création de 4 000 places afin de soulager les masters en tension 3. Néanmoins, ces déclarations ne s’accompagnent d’aucune précision quant aux moyens confiés aux universités pour faire face à l’afflux d’étudiant·es. Au vu de l’investissement massif dans les logiciels d’enseignements en distanciel, Ihssane redoute ainsi « que pour ces nouvelles places les enseignements soient exclusivement à distance. »

Si cela venait à se vérifier, il s’agirait d’une nouvelle dégradation des conditions d’enseignement au sein d’universités dont le budget par étudiant diminue depuis 2012 4. Cette précarisation joue le jeu de l’enseignement privé, qui s’engouffre dans les failles en proposant des formations payantes. Pour Margot, s’orienter dans le privé était était le seul moyen de continuer ses études. Elle n’a obtenu aucune proposition de master dans le public et doit maintenant payer sa rentrée au prix fort. « Sans l’héritage que j’ai reçu, je n’aurais jamais pu me permettre de postuler dans quelque chose de privé. »

Contactées, les services de communication des universités Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris 2 Panthéon-Assas, Paris 10 Nanterre-Université ainsi que Paris 12 Université Paris Est-Créteil n’ont pas donné de suite à nos demandes d’entretien.

  1. 10
  2. 100
  3. 3

Un reportage de Victor Amoreau. Photo de Une : Victor Amoreau pour Radio Parleur

1 https://www.gouvernement.fr/argumentaire/reforme-du-master-un-droit-a-poursuite-d-etudes-pour-chaque-diplome-de-licence

2 https://www.letudiant.fr/etudes/3es-cycles-et-masters/master-le-droit-a-la-poursuite-d-etudes-est-modifie-des-la-rentree-2021.html

3 https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid24688-cid159168/-marentree2021-discours-de-frederique-vidal.html

4 https://www.lemonde.fr/blog/piketty/2017/10/12/budget-2018-la-jeunesse-sacrifiee/

 

 

La production de ce sujet a nécessité :

Heures de travail
€ de frais engagés
membres de la Team
Parleur sur le pont

L’info indépendante a un coût, soutenez-nous