Début septembre, le hashtag #BalanceTonBahut émerge pour dénoncer l’attitude d’établissements scolaires face aux agressions sexistes. Très vite, la mobilisation débouche sur le #14septembre, une myriade d’actions contre le sexisme à l’école. Le mouvement force même Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation, à réagir. Avec Radio Parleur, plongez aux racines de ce combat et au coeur de TikTok, plateforme prisée des adolescent·es. C’est sur ce réseau social que la lutte s’est organisée. 

Les élèves doivent s’habiller de «façon républicaine». On ne sait pas trop ce que cela veut dire mais c’est ainsi que le ministre de l’éducation Jean Michel Blanquer a réagi le lundi 21 septembre. En cause, le mouvement du 14 septembre. Des lycéennes et des lycéens qui font valoir leur droit de s’habiller comme elles et ils le souhaitent pour se rendre au lycée.

C’est une petite publication sur Instagram qui a mis le feu aux poudres et a lancé la mobilisation. Le 8 septembre, le collectif Collages féminicides Clermont-Ferrand publie sur son Instagram une photo accusant l’administration du lycée Fénelon d’être complice d’un viol dans l’établissement. Plus de 500 commentaires plus tard et des milliers de partages, la vague déferle. D’abord, des tweets, puis la création du hashtag #BalanceTonBahut où des milliers de personnes témoignent d’agressions ou d’humiliations vécues dans les établissements scolaires du secondaire. Très vite, le lundi 14 septembre émerge comme date d’action contre les discriminations sexistes, en particulier vestimentaires, dans les lycées.

Se donner du courage grâce à Tiktok

Laurence Allard st maîtresse de conférences en sciences de la communication et chercheuse à l’université Sorbonne Nouvelle Paris 3-IRCAV, spécialiste des expressions digitales, en particulier juvéniles. Elle souligne l’importance de Tiktok, un réseau social basé sur la vidéo, dans la structuration du mouvement. Il sert de « salle de préparation de la performance, avec des imitations mutuelles encouragées par le réseau comme les challenges, les duet et la boucle (..) Tiktok a eu un effet solidarisant. Il a permis aux filles de ne pas sentir seules face à cette agression et violence symbolique. Ce n’est pas évident d’oser, surtout quand on est au collège, passer le pas. Tiktok a permis cela. » explique la chercheuse.

« J’ai trouvé le mouvement très intelligent. On voit sur Tiktok beaucoup de jeunes filles qui ne se font pas accepter à l’école à cause de leur tenue vestimentaire. Je ne trouve pas ça normal. C’est pour cela que j’ai voulu y participer » raconte Lily, lycéenne à Marseille et tiktokeuse. « Au début, j’ai vu une vidéo qui parlait du 14 septembre » dit-elle. « Puis, j’ai décidé d’en faire un moi-même pour faire circuler l’information. Il est passé dans les “Pour toi” [NDLR : fonctionnalité mettant en avant certains contenu choisis par l’algorithme] et a été beaucoup relayé ».

Très vite, le mouvement se propage comme une traînée de poudre sur le réseau social. De nombreuses filles, et quelques garçons, présentent leur tenue. Certain·es construisent des scénettes présentant la réaction des parents ou des CPE (conseiller·e principal·e d’éducation). D’autres diffusent des vidéos face caméra, sans musique, expliquant l’importance de participer à ce mouvement du 14 septembre. 

 

 

Un réseau en pleine politisation

« Dernièrement, Tiktok s’est plutôt politisé. » explique Chloé, étudiante et tiktokeuse féministe. Elle raconte que plusieurs rassemblements de créateurs et créatrices de contenu, nommés house sur le réseau, ont émergé récemment pour porter des messages politiques. « Je trouve que c’est essentiel parce que Tiktok regroupe beaucoup de jeunes. Certaines vidéos peuvent être très importantes parce qu’elles éduquent sur des concepts simples, comme le consentement. » dit-elle. La tiktokeuse a publié une vidéo le 12 septembre 2020 d’une chanson qu’elle performe face caméra avec un ukulélé parlant du consentement, vue plus de 640 000 fois.


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L’algorithme favorise une logique de clan sur le réseau social. Plus un utilisateur regarde un certain type de contenu, plus l’application lui propose des vidéos similaires susceptibles de l’intéresser. « Il existe plusieurs Tiktok. Par exemple, je suis sur le Tiktok féministe » explique Chloé. « La partie qui est assez critiquée parce qu’elle rassemble des personnes malveillantes, c’est le straight tiktok. On y voit beaucoup de vidéos misogynes et racistes. »

La sexualisation des (jeunes) filles : une question centrale

Elena, militante féministe d’une vingtaine d’années, a choisi ce réseau social pour interpeller sur la misogynie vécue par les jeunes filles.« Une amie a diffusé le tweet de l’IFOP. J’ai été extrêmement choquée et j’ai décidé d’en parler sur Tiktok. » Elle explique répondre notamment à des adultes qui diffusent des vidéos misogynes sur ce réseau, mais aussi à une pédocriminalité de plus en plus présente. Pour elle, le fait que des adultes débattent de la tenue vestimentaire de jeunes filles relève de la culture du viol voire relève de la pédocriminalité « Qu’Alain Finkielkraut raconte sur un plateau télé que les jeunes adolescentes en crop top l’excitent, c’est très grave et très inquiétant. » s’exclame-t-elle. La militante souligne la contradiction dans laquelle se retrouvent les jeunes filles coincées entre injonction à la sexualisation et slut shaming

Un réseau social qui évolue avec son temps

Comme l’explique Laurence Allard, Tiktok évolue avec les enjeux de son temps. Ce n’est pas la première fois qu’on note un surgissement du politique sur le réseau. Les séquences des marches climat et des Gilets jaunes ont ouvert le bal. Néanmoins, le mouvement du 14 septembre marque une accélération indéniable. « Comme dit Paul B. Preciado, cette année est l’année de votre révolution” raconte la chercheuse. « Quand on voit le 14 septembre, toutes les ados vont s’inscrire dans ce mouvement collectif, possible grâce à #MeToo, au mouvement des colleuses, Adèle Haenel qui part de la cérémonie des Césars. Depuis cette année, la violence sexiste n’est plus ni possible, ni acceptable ».

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Un reportage de Pauline Moszkowski-Ouargli. Photo de Une : Pierre-Olivier Chaput pour Radio Parleur.

* Le 29 septembre dernier, l’institut de sondage a publié invitant les personnes interrogées à répondre à la question «Qu’est-ce qu’une tenue correcte pour les filles au lycée ?», suscitant un tollé.

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