L’hôtellerie de luxe veut congédier son petit personnel. Depuis le 5 mars 2021, des salarié·es du Westin Paris Vendôme, luxueux hôtel du groupe Mariott manifestent, tous les jeudis. Ils et elles dénoncent la mise en place d’un Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Au nom de la crise sanitaire et malgré les aides publiques, la direction veut licencier 45% des effectifs de l’établissement.
Une annonce faite à distance, sans motif, ni explication. Le 7 janvier dernier, le Comité Social et Économique (CSE) de l’hôtel Westin Paris Vendôme tient une réunion extraordinaire par visioconférence. Médusé·es, les représentant·es du personnel apprennent que la direction compte licencier près de la moitié du personnel. 167 emplois sur 350 employé·es sont menacés.
Quatre services menacés de suppression totale
Des services entiers sont menacés, notamment la conciergerie et le housekeeping – le service d’étage – qui comprend femmes de chambre, valets de chambre, équipiers et gouvernantes. Le standard et le service du spa pourraient également disparaître. « Ces quatre services vont être fermés à 100% pour être ensuite externalisés », explique David, employé depuis quatre ans. Le chiffre de de 110 emplois supprimés et remplacés par de la sous-traitance.
Rendu public le 15 janvier, le PSE du Westin Paris Vendôme arrive à terme le 15 avril. À cette date, sans accord entre la direction, les syndicats et les représentant·es du personnel, les licenciements seront effectifs. Mais Yamina Bellahmer, secrétaire adjointe du CSE, ne l’entend pas de cette oreille. « On veut diminuer le nombre de salarié·es licencié·es. La direction doit ouvrir les départs volontaires, et laisser en poste ceux qui veulent continuer à travailler. » Chaque jeudi depuis le 4 mars, elle convoque les salarié·es devant un grand hôtel du groupe. C’est l’acte de naissance de ces « jeudis de la colère ».
Les aides de l’État d’un côté, les licenciements de l’autre
Ces derniers mois, le secteur de l’hôtellerie de luxe ne manque pas de soutien de l’État. En novembre, le gouvernement annonce en novembre un plan d’aide pour les entreprises en difficulté, notamment l’hôtellerie : une aide représentant 15 à 20% du chiffre d’affaire de 2019. Pour les salarié·es, empocher les aides et faire le choix du PSE est un camouflet. « Nos salaires sont pris en charge à 70% par l’État. Il y a des aides sur les charges fixes qui peuvent aller jusqu’à 10 millions d’euros par semestre. Les aides sont là pour maintenir les emplois », s’insurge Iba Konté, représentant du personnel depuis 15 ans.
Le fond d’investissement Henderson Park, propriétaire de la chaîne Mariott et du Westin Paris Vendôme n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai. Propriétaire de l’hôtel du Méridien Étoile, il a, quelques mois plus tôt, licencié 254 salarié·es (la moitié des effectifs) après l’échec des négociations du PSE de l’établissement.
Aux « jeudis de la colère » résistance contre la sous-traitance
Au Westin, personne ne croit vraiment à l’argument Covid. « Le PSE, c’est pour amener la vente de l’hôtel et augmenter sa valeur en diminuant la masse salariale pour passer à la sous-traitance », assure Yamina Bellahmer. Un non-sens pour David, pour qui « dans ce genre de vieille maison, on nous apprend à peaufiner notre art. On porte haut le charme et le luxe à la française. Il y a une discorde entre ce que l’on met en avant en termes de qualité de service et un travail de sous-traitance. »
La sous-traitance, Tiziri Kandi, syndicaliste CGT-HPE, Rachel Kebe et les femmes de chambres de l’hôtel Ibis Batignolles la connaissent par coeur. Elles la combattent de toutes leurs forces. Horaires fragmentés, contrats courts, ou encore rémunération à la tâche, avantages en nature inexistants et précarité extrême… « La sous-traitance c’est de la maltraitance », nous explique la gouvernante.
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La trahison de délégués syndicaux
Le temps presse. Au milieu des cartons recouverts de slogans des salarié·es mobilisé·es pour ces « jeudis de la colère », l’absence de certains syndicats est criante. « Il y a trois organisations syndicales dans l’hôtel : Force Ouvrière, l’US-CGT et la CFE-CGC. Ces trois négociateurs sont autour de la table avec la direction. Sincèrement, on se pose la question de savoir s’ils sont là pour négocier pour les salarié·es où pour leur propre profit », s’énerve Iba Konté.
Amer·es, les salarié·es se sentent trahi‧es par des représentants syndicaux qui leur ont déconseillé de rendre leur histoire publique. « J’ai appris le plan social dans un groupe Whatsapp. Les syndicats de l’hôtel ne nous l’ont même pas dit », soupire Mohammed, salarié depuis 10 ans du Westin, qui se sent davantage soutenu par ses délégués du personnel.
Une bataille judiciaire succèdera-t-elle aux jeudis de la colère ?
Les représentants du personnel ont mandaté un expert comptable pour vérifier les arguments économiques de la direction. Le constat est sans appel. « Au vu des éléments de l’expert comptable, les syndicalistes pourraient quitter la table des négociations et entrer dans une bataille judiciaire. On a les éléments pour gagner », affirme Iba Konté. Lassé·es d’attendre, les représentant·es du personnel se tournent vers l’Inspection du travail et de la DIRECCTE, la direction régionale des entreprises. C’est le seul espoir d’invalider le PSE. La réponse tombera le 30 avril, soit quinze jours après la date de clôture du plan de sauvegarde.
Pour celles et ceux qui partiront, « on demande deux mois de salaire par année de présence. On veut que tout soit fait dans les règles », martèle Yamina Bellahmer, l’un des piliers des jeudis de la colère. Dignité et respect pour le travail fourni, pour celles et ceux qui ont tant donné pour le Westin. Yamina Bellahmer prend le mégaphone, pour remercier toutes celles et ceux venu·es les soutenir. Sa voix se brise. « On est pris par le temps, alors aujourd’hui j’ai pris une décision, j’entame la grève de la faim pour le Westin ! »
Un reportage de Nabil Izdar. Photo de Une : Nabil Izdar.
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