Des écolos et des raffineurs de pétrole main dans la main ? À Grandpuits, dans le Nord, cette impensable convergence est devenue réalité. Depuis cinq semaines, les ouvriers de la raffinerie de Grandpuits se mobilisent avec des associations écologistes pour dénoncer le « greenwashing » de Total, qui utilise l’argument écolo pour mieux supprimer des emplois en France.

Ce 9 février, raffineurs et activistes des Amis de la Terre, Greenpeace, Oxfam et d’autres organisations écologistes se rassemblent au pied de la Tour Total à la Défense. C’est le dernier jour des négociations du plan de « sauvegarde de l’emploi » qui va supprimer près de 200 postes sur le site de Grandpuits.

Bioplastiques et belles promesses écologiques

En septembre dernier, la direction de Total annonce vouloir reconvertir la raffinerie de Grandpuits pour en faire une « plateforme zéro déchet ». Derrière la belle formule, il s’agit de transformer la raffinerie en usine de biocarburant et bioplastiques à la pointe de la technologie. Problème, il faudrait pour ce faire supprimer des postes dans l’usine, selon la direction. Par ricochet, ce sont 700 emplois qui sont condamnés sur le bassin de Seine-et-Marne, selon les salarié‧es.

Une communication bien huilée

Le leader mondial du pétrole justifie les licenciements par une activité davantage tournée vers la transition énergétique. Mais cette soudaine conversion du géant pétrolier à l’écologie ne convainc ni les organisations environnementales, ni les salarié‧es. Cécile Marchand, chargée de campagne pour les Amis de la Terre, a fait le déplacement pour soutenir les raffineurs. Elle ne défend pas le pétrole pour autant, mais dénonce la stratégie de Total qui veut oublier le pétrole fossile pour se concentrer sur les agrocarburants.

Intéressante sur le papier, cette solution végétale pose en réalité de grave problèmes à tous les stades de la production : « pour développer le biocarburant, il faut importer des huiles végétales, très probablement du soja d’Amazonie, qui cause la déforestation », explique Cécile Marchand. D’autre part, l’agrocarburant est tout aussi polluant que le pétrole fossile. Il rejette même davantage de gaz à effet de serre. « Les agrocarburants sont l’une des pires solutions pour remplacer les carburants fossiles », assène Cécile Marchand.

Écologistes et raffineurs dénoncent le mirage du projet de Total à Grandpuits

En ce qui concerne la production de bioplastique, l’autre jambe du projet de Total, salarié‧es et organisations écologistes n’y croient pas. « Ce qu’ils appellent bioplastique n’a juste de bio que le nom. Le meilleur plastique, c’est celui qui n’est pas produit », rappelle Cécile Marchand.


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D’ailleurs, Total ne prévoit pas d’arrêter la production de gaz et de pétrole, puisqu’elle projette un pipeline géant en Ouganda. « Si on ferme les capacités de raffinage en France, on va juste devoir importer de l’étranger, notamment d’Arabie Saoudite. Là-bas, les normes environnementales sont en réalité inexistantes », explique Paul Feltman, raffineur à Grandpuits. La fermeture d’une raffinerie en France cache donc d’autres enjeux pour la multinationale, comme le fait d’améliorer son image auprès du public. 

La députée de la France Insoumise Clémentine Autain a fait le déplacement à Grandpuits. « Ce projet de greenwashing est tout simplement inadmissible », tonne la députée. Dans la défaillance du pipeline censé approvisionner le site de Grandpuits, et qui a entrainé une fuite de pétrole il y a trois ans dans les Yvelines, elle voit l’intention du groupe Total d’affaiblir son usine. « En laissant pourrir le matériel ils vous ont mis, vous les raffineurs, devant le fait accompli. Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. »

« Une casse sociale sans précédent » pour la raffinerie de Grandpuits

« Chez Total, il n’y a pas de licenciement. Mais ils forcent les gens à partir en pré-retraite, ou en mutation. Je compte rester sur le site, mais dans mon secteur tous les postes sont menacés », se désole Alexis Apers, opérateur sur les unités de la raffinerie.

Pour Paul Feltman, il s’agit d’une casse sociale sans précédent. La direction de Total leur a promis, dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi, de ne forcer aucun départ parmi ceux qui resteront sur le site … « Mais ils sont clairs aussi. S’il y a trop de salarié‧es dans l’usine par rapport au nombre de postes, il y en a qui n’auront rien à faire ! » Une menace à peine voilée pour les salarié‧es qui voudraient rester dans l’entreprise malgré tout. « Quand on ne fait rien de ses journées pendant huit heures, si ça dure plusieurs années… Il y a des gens qui vont péter un câble et qui finiront par démissionner. C’est ce que cherche à faire Total, et je me battrai contre ça. »

Un reportage de Yelena Parentaud. Photographie : Pierre-Olivier Chaput pour Radio Parleur.

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