Que s’est-il passé cette nuit du 15 décembre 2017 dans la cité Saint-Maurice, à Lille ? Cette question hante jour et nuit les parents de Sélom et de Matisse. Ont-ils été pris à parti dans une bagarre ? Ont-ils été poursuivis par la BAC ? Pourquoi Aurélien, Achraf, Sélom et Matisse ont escaladé un mur, puis enjambé une barrière de sécurité pour finir fauchés par un TER au départ de la gare de Lille Flandres ?
Le quartier de Fives est un quartier ouvrier et pauvre de l’agglomération Lilloise. Comme dans de nombreuses grandes villes, la pression immobilière s’accompagne d’un phénomène de gentrification. La place Caulier était un lieu de deal bien connu. Puis, la mairie de Lille a décidé de mettre en place une politique sécuritaire pour rassurer la nouvelle population du quartier. Le point de deal s’est déplacé au cœur de la cité Saint-Maurice, vestige de la grandeur industrielle des faubourgs lillois. Là, la population ouvrière habite au milieu des appartements vides et murés. Des lieux pourtant promis à une rénovation et destinés à une nouvelle population plus riche.
Une bagarre et des zones d’ombres persistantes
Ce soir du 15 décembre 2017, le climat est tendu entre la place Caulier et la Cité Saint-Maurice. Les deux endroits sont distants de quelques centaines de mètres. Une première bagarre éclate non loin de la cité, une seconde au cœur de la cité. Nous ne savons pas si Aurélien, Achraf, Sélom et Matisse participaient d’une façon ou d’une autre dans l’une des deux bagarres.
Pour la seconde bagarre, un témoin assure qu’Aurélien, Achraf, Sélom et Matisse n’étaient pas impliqués. Que les trois personnes en ayant molesté une quatrième sont reparties à bord d’une Citroën noire, feux éteints, avant l’arrivée de la police. Un autre témoin affirme avoir vu les quatre jeunes à l’intérieur de la courée juste avant l’arrivée de la brigade.
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Il existe autour de cette affaire, malheureusement, encore beaucoup de zones d’ombre : quel lien y a-t-il entre la bagarre et Aurélien, Achraf, Sélom et Matisse ? Pourquoi le téléphone de Matisse est resté en communication sortante pendant plus de deux heures après l’accident alors qu’il a été restitué détérioré ? L’expertise du téléphone, donnant accès aux appels, permettrait certainement de comprendre ce qu’il s’est passé. Nous savons aussi, d’après un témoin clé, qu’Aurélien a réaffirmé il y a quelques semaines que lui seul savait ce qu’il s’était passé ce soir là, et que la police n’était pas impliquée.
La justice va-t-elle classer l’affaire ?
Les familles souhaitent que le travail de la justice se poursuive : elles demandent l’expertise du téléphone, une reconstitution des fait, et appuient la nécessité de retrouver les auteurs de la rixe. Mais les trois juges qui se sont succédé·es dans l’instruction ont rejeté ces demandes des parties civiles. Pour l’instruction l’affaire semble se réduire à ces simples faits : quatre jeunes escaladent un mur, enjambent une barrière de sécurité puis se font happer par un TER. Fin de l’histoire.
Si la justice décide de classer l’affaire, ce sera un nouveau drame pour les familles endeuillées. Être reconnues comme victime, faire éclater la vérité reste pourtant primordial. Le doute pourrait continuer alors de les ronger jusqu’à finir par les détruire.
Un étrange corbeau et des manipulations
Ces absences de réponse, cette douleur commune avaient poussé Valérie et Peggy à se joindre pour un combat commun. La longueur de l’instruction et l’intervention notamment d’un élément extérieur ont fait voler en éclats cette unité et détruit les Lionnes de Lille.
Pendant presque un an, une personne prétendant avoir des informations clés a manipulé Valérie : coups de fil, envoi de documents supposés être des preuves… Nous avons eu accès à ces différents papiers, en réalité des montages suffisants pour laisser croire, qui veut croire. Sur les audios que nous avons pu écouter, la voix trafiquée laissait sous-entendre une femme maquillant sa voix en homme.
Valérie, la mère de Matisse, a percé le mystère. Le corbeau qui prétendait être un témoin direct de l’affaire est en réalité une militante de l’Action française. Un groupuscule d’extrême droite radicale et violent. Mais quelle était la motivation de cette personne ? Impossible de le savoir exactement. Quoi qu’il en soit, s’il s’agissait de faire imploser le collectif Sélom et Matisse, la militante nationaliste a réussi.
Au drame survenu il y a trois ans, s’ajoute aujourd’hui un nouveau drame humain. Les deux Lionnes se sont déchirées à cause de cette manipulation. Leur amitié n’a pas résisté, et chacune lutte dans son coin. Il n’y aura donc pas de marche unitaire pour les trois ans de la mort de Sélom et Matisse. Chacune organisera une manifestation séparée.
Retrouvez tous les épisodes de cette série ici :
Une enquête menée par Yann Levy (Bastamag) et Tristan Goldbronn. Réalisation par Etienne Gratiannette. Photo de Une : Yann Levy pour Bastamag. Rédaction en chef : Martin Bodrero
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