Depuis le 25 juin 2020, 15 mineurs étrangers, en recours pour faire reconnaître leur minorité par l’aide sociale à l’enfance, ont trouvé refuge à Kabako, un squat ouvert par un groupe de militant⋅es bordelais⋅es. Ce bâtiment qui appartient au département de la Gironde accueille les mineurs laissés à la rue par la politique de « non-accueil » menée par la France.
« Lorsqu’un mineur étranger arrive à Bordeaux, il doit se présenter au SAEMNA (Service d’Accueil et d’Évaluation des Mineurs Non-Accompagnés), qui le met à l’abri le temps de son évaluation. Dans les faits, ils les logent dans des hôtels, avec aucun suivi », raconte Noëlla, membre du collectif les Voisines.
« Ils passent par 3 ou 4 entretiens avec des travailleurs sociaux, tous différents, à qui ils racontent leur parcours migratoire. À l’issue de ces entretiens, ils décident arbitrairement si les jeunes qui se présentent à eux sont mineurs ou non. Et souvent, ils leur refusent la reconnaissance de minorité. À partir de ce moment là, ils les remettent à la rue. » Les mineurs doivent alors passer en recours devant le juge des enfants.
Un lieu pour faire face au « non-accueil » imposé par l’Etat
Le recours devant le juge des enfants est une procédure longue qui nécessite des connaissances juridiques et administratives. Les jeunes sont livrés à eux-mêmes le temps du traitement de leur dossier. Une période qui peut parfois durer plus d’un an. C’est pour les accueillir pendant ce temps de recours que Kabako a été ouvert, rue Camille Godard, dans le nord de Bordeaux. Une « réquisition citoyenne », affirment les militant⋅es.
Dans ce bâtiment de deux étages, l’ambiance est presque familiale. Les jeunes, aidés par des bénévoles qui se relaient à leurs côtés, ont fait de ce lieu une grande maison. Un planning de répartition des tâches ménagères tourne chaque semaine, comme dans une famille nombreuse. « Ces jeunes ont besoin d’un cadre et de règles, ça les rassure. Ça fait partie des besoins d’un adolescent », raconte Anne-Laure en accrochant le plan de chambre au tableau de l’entrée.
« Lorsqu’un jeune arrive à Kabako, on lui propose de se reposer, on lui présente les autres et les bénévoles. Après, on lui fait un petit entretien d’entrée, on remplit une fiche avec son nom, son prénom, son numéro de téléphone, des questions pas trop intrusives, juste pour savoir qui on a dans la maison », décrit Noëlla. « Ensuite, ça se fait très vite, les jeunes s’entre-accueillent. Parfois ils se sont déjà croisés, se connaissent déjà. »
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« C’est tranquille ici, c’est parfait. Sans l’association, nous risquerions le froid et la rue. Kabako nous épargne tout ça, c’est pour ça qu’on les remercie », témoigne Mustafa, un des jeunes. « J’ai une passion, la musique. Pendant trois ans, je n’ai rien fait, à cause de tous les problèmes que j’avais dans la tête. Ils m’ont aidé à trouver un avocat, je me suis senti en sécurité, et petit à petit, la musique est revenue. »
Malgré la bonne humeur, les habitants de Kabako à Bordeaux n’ont pas la vie de n’importe quel jeune en foyer. « Ils sont tous en attente de quelque chose, d’un papier, d’une audience, d’un résultat de test osseux… C’est long et angoissant », insiste Samia, bénévole et militante impliquée dans la protection des personnes migrantes à Bordeaux. « À titre personnel, j’aimerais qu’ils soient traités comme n’importe quels jeunes. Qu’ils aient la présomption de minorité, qu’ils puissent être accueillis et pas mis à la porte au début de la procédure de recours. À l’heure qu’il est, on pourrait croire que, parce qu’ils n’ont pas pu prouver qu’ils sont mineurs, ça autorise le département et le SAEMNA à ne pas les traiter comme des humains », conclut Noëlla.