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La force des couturières : des masques pour tous et toutes

Les couturières se sont mises au travail : pendant le confinement, le manque de masques a touché soignant·es, travailleur·euses essentiel·les et particulier·es. Pour combler le trou béant de la pénurie, elles en ont cousu des milliers. Le collectif Bas les masques, créé début mai, rappelle à toutes fins utiles que tout travail mérite salaire.

Première diffusion le 16 juin 2020

En Dordogne, et partout ailleurs en France, des centaines de couturières se sont rassemblées sur les internets, dans des groupes Facebook d’entraide, pour s’échanger astuces, conseils et bonnes affaires. Leurs actions, parfois relayées dans la presse locale de la région, restent confidentielles. Elles ont été, comme les infirmières, les caissières ou les femmes de ménages, les réelles petites mains du confinement. Le département a mis en place une action de soutien : les “Masques citoyens”. Il fournit les matériaux. Les mairies gèrent la distribution et la collecte. Les couturières, elles, cousent les masques gratuitement.

“Les machines à coudre de chez Lidl sont nickel à côté des Singer !”

La Force est un petit village proche de Bergerac, en Dordogne. 2.700 habitant·es peuplent ce bourg d’origine médiévale, organisé autour d’une place en pierre blanche, caractéristique des bastides périgourdines. Une boulangerie, une micro-crèche, et “la Fondation John Bost qui accueille des personnes handicapées mentales,” explique Christine. Cette retraitée de la fonction publique et adjointe aux affaires sociale co-organise la distribution des masques. Mais le centre actif du village est au bout de la rue : c’est la salle des activités des associations. 

Anne Valette, petite femme aux cheveux blancs coupés court, préside l’association Rencontre&Loisirs. Ses membres se sont lancé·es dans la confection des masques pour l’ensemble des forcelais et des forcelaises. Dans la petite salle de confection, cinq femmes, couturières, masques sur le nez, rigolent. “Moi j’ai une machine à coudre de chez Lidl, elles sont nickel, à côté des Singer [marque de machine à coudre, ndlr], y’a pas photo” s’exclame Jeanne, couturière de métier à la retraite au rire communicatif.

Un village en pleine transformation

C’est un village qui a perdu de la ruralité” ajoute Évelyne, conseillère municipale sortante, âgée de 67 ans, éducatrice à la Fondation John Bost à la retraite et investie depuis toujours dans les actions collectives du village. “Quand mon fils allait au collège, il y avait à côté une ferme avec des vaches. On pouvait aller chercher le lait à la ferme. Maintenant, il y’a plus du tout ça.

Avec tristesse, Évelyne raconte aussi les nouveaux arrivant·es qui se sont installé·es dans la commune depuis quelques années. Le territoire voit fleurir des nouveaux quartiers résidentiels, avec maisons pavillonnaires. Celles-ci regroupent une population tournée vers le centre urbain de Bergerac, et moins vers la vie du village. “D’où la problématique pour les associations pour les appâter autour d’intérêts communs” rappelle-t-elle.

Une chaîne solidaire de petites mains

La mairie a rapidement constitué une liste des personnes âgées de plus de 70 ans et des personnes en situation de fragilité au début de l’épidémie de Covid-19. La demande de masques ne s’est pas faite attendre. Très vite, l’association s’est associée à la mairie pour confectionner des masques.

Nous avons adhéré à la proposition du Conseil départemental de faire des masques avec ses fournitures. Nous avons battu la campagne,” raconte Christine. Les bénévoles ont glissé dans les 1200 boîtes aux lettres de La Force une petite annonce de recherche de main d’oeuvre volontaire. “Une cinquantaine de personnes ont répondu. Au départ, on était parti pour confectionner 500 masques, et puis encore 500.” Les masques ainsi cousus ont été fournis à tou·tes les forcelais·es en quelques jours.

 

 

 

 

Coudre des masques, un outil pour transmettre

Marie-Thérèse, visage doux et cheveux blonds, est agente des Services Hospitaliers à la retraite. Elle s’est installée dans la commune de la Force il y a presque un an. Avec émotion, elle raconte “Toute petite que j’étais, j’aidais une voisine qui faisait de la couture à domicile. Je lui retournais ses ceintures. Après, j’ai appris un peu de couture. J’ai travaillé en usine, chez Lacoste. On avait des cours ménagers, avec des leçons de couture et j’ai continué comme ça. Au fond de moi, je devais avoir cet instinct inné de la couture.

Jeanne est la seule couturière professionnelle du groupe. Pour elle, la transmission de son métier est très importante “Ma petite fille a voulu apprendre. Donc, comme j’ai deux machines, je lui en ai prêté une et elle fait des coutures droites. L’autre jour, elle s’est fait un petit masque !”

 

 

Expérimenter pour répondre aux besoins

Au début, les couturières expérimentent. La question du modèle et des normes les préoccupe. Au départ, elles ont fait les deux modèles AFNOR. D’abord, elles ont fabriqué le “bec d’oiseau”, qui regroupe deux morceaux arrondis par une couture au milieu. Puis, elles se sont fixé sur le “rectangle”, qui superpose deux carrés de 20cm de côté. Plus sûr, et plus facile à coudre.

D’autres ont délaissé la couture pour faire des masques au crochet, comme Christine. “J’ai cherché sur internet. J’ai vu qu’il y avait des tutos au crochet. Donc, je l’ai téléchargé et je me suis dit que j’allais essayer. J’ai bricolé par rapport aux explications que j’avais trouvé. Ma foi, je m’en suis fait trois.” Ces modèles créés à force de tâtonnements sont-ils dignes de confiance ? “A priori, oui. On dit que si on souffle sur une flamme et qu’elle ne s’éteint pas, le masque est fiable.

Les machines à coudre pour les amatrices ne sont pas adaptées au travail à la chaîne. Les couturières de masques ont trouvé d’autres techniques, comme coudre l’élastique à la main. “Moi je prenais surtout plaisir à choisir les tissus” sourit Anne. La présidente de l’association, qui tricote beaucoup mais coud très peu, a rapidement eu une tendinite à cause de la machine. “Faire des masques c’est très répétitif comme mouvement. Ce qui peut être pénible pour certaines personnes qui ne sont pas habituées”. 

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Une diversité de profils mais une envie commune

Ce groupe de couturières rassemble des profils très divers. “Des retraité·es certes, mais aussi beaucoup de jeunes femmes, qui se sont présentées parce qu’on avait bien dit dans le petit flyer qu’on a mis dans les boîtes aux lettres qu’on cherchait des personnes sachant coudre, pas des couturières dans le sens noble du terme.” explique Christine. 

Seuls deux hommes ont participé à la confection. Un jeune lycéen qui s’est essayé à la couture et qui a aidé à la distribution, et Patrick, un retraité de l’éducation spécialisée. Voix gutturale et moustache imposante, il explique : “Ma foi je me suis souvenu que pendant mes études d’éducateur j’avais pris l’option couture.” Après d’intenses recherches pour retrouver sa machine à coudre, il s’est joint au groupe des couturières. “Comme c’est pas très compliqué à faire ses masques, j’ai réappris à me servir de ma machine, ça a valu quelques séances homériques.. mais bon, j’ai vaincu la bête et j’ai participé.

 

 

 

Un réseau de femmes…

“C’est un peu dommage qu’il n’y ait pas plus d’hommes qui se soient présentés… peut-être qu’une fois encore on considère que c’est l’affaire des femmes”. Elles sont partout : de la gestion à la distribution des kits du département au niveau du canton, au déplacement du matériel, à la découpe, à la couture, à l’organisation, à la mise en enveloppe, jusqu’à la distribution. Les hommes jouent un rôle marginal. Certains ont quand même donné un coup de main, notamment en participant à la distribution. 

Pour Anne, “peut-être que le métier a voulu que ce soit plutôt des femmes qui fassent de la couture plutôt que les hommes, parce que tu peux rester à la maison. Tu peux rester dans un atelier. Ce n’est pas un travail de force, et la force était dans le temps cantonnée aux hommes”. Jeanne est un peu sceptique. “Ils auraient au moins pu aider pour couper le tissu”. 

… mais surtout un réseau de solidarité

Collectivement, les couturières de La Force ont dit non à une rémunération pour leur travail. En opposition avec les revendications de certaines couturières qui ont émergé durant le confinement, notamment le collectif “Bas les masques”, elle revendiquent un acte de solidarité. Pour elles, les personnes qui ont reçu les masques ont participé au processus, en fournissant du tissu, des élastiques, mais aussi en donnant un coup de main pour l’acheminement et la distribution.

Jeanne va même plus loin : “Je ne sais pas si ça m’aurait pas retenu de participer si j’étais payée”. Elle a contribué “par amitié et par envie”. Ce qui rentre, pour elle, en conflit avec l’idée de se faire payer. Pour Marie-Thérèse aussi, “on devait mettre notre temps, notre savoir-faire à la disposition des associations et des gens qui ne le pouvaient pas”. Ces réseaux solidaires ont aussi cassé un certain isolement.

Les masques qui ont fait se rencontrer les couturières

La rencontre [par cette action de couture, ndlr], ça permet dans la rue de se dire bonjour, de se donner des nouvelles si on en a envie, et ensuite c’est sûrement un trait d’union pour proposer des actions ensemble, notamment au sein de Rencontre & Loisirs.” rappelle Evelyne. Pour Patrick, l’existence de ce groupe de couturières n’est pas étonnant. Il s’appuie sur un gros tissu associatif local d’une cinquantaine d’associations. “C’est lié à une tradition issue du protestantisme de la pratique de la solidarité”.

Une gratuité politique ?

Les couturières de La Force se sont substituées à l’action de l’État. Néanmoins, beaucoup d’entre elles considèrent que c’était leur devoir. “Rien ne m’énerverait plus que les gens qui, avant de bouger le petit doigt, disent que c’est la faute de l’autre et que l’autre doit réparer” lance Patrick. “Tout est politique, donc oui, c’est un acte politique, mais c’est avant tout un acte humain” rappelle-t-il.

Christine est plus critique vis-à-vis de l’action du gouvernement. Elle souligne le fait que les citoyens et citoyennes auraient dû pouvoir trouver des masques dans les commerces. C’est selon elle, une conséquence directe de la perte en France de beaucoup de savoir-faire, et notamment de la couture. Un constat que partage le collectif Bas les masques, qui souligne le nombre d’emplois qui pourraient être créés si les couturières étaient rémunérées aujourd’hui.

Travail gratuit contre gratuité solidaire, l’opposition est-elle si nette ? La gratuité des masques distribués aux forcelais et forcelaises a permis rencontre, lien social, gestion de l’urgence. Pour les couturières, la gratuité de leur travail s’oppose ainsi aux logiques financières actuelles et démontre une autre manière de contribuer, sans exclure que celles qui voudraient être payées puissent le faire. “C’est là que le mot solidaire a toute sa valeur aujourd’hui”, conclut Anne.

Un reportage écrit et réalisé par Pauline Moszkowski-Ouargli. Photo de Une : Maëlle des Colleuses féministes d’Angers pour Radio Parleur

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