Depuis le début de l’épidémie de coronavirus, les plateformes numériques de livraison alignent promotions et actions “solidaires” pour les hôpitaux. À l’autre bout de la chaîne, les livreur・euses, sans contrat de travail et donc sans indemnités, pédalent pour des missions à l’utilité publique discutable – et souvent sans protection sanitaire. 

Pour Wyssem, livreur en Île-de-France depuis trois ans, c’est l’incompréhension. Pourquoi n’est-il pas indemnisé pendant la période de confinement ? “On ne livre même pas des médicaments, ou de la nourriture pour des gens qui sont vieux, qui ne peuvent pas sortir”, s’interroge le livreur. “Je ne comprend pas qu’ils nous fassent travailler en temps de pandémie.” Sa crainte principale étant de transmettre le virus aux clients, aux restaurateurs et à sa famille. 

Livrer une glace, une activité essentielle à la nation ?

Malgré ces risques réels, comme beaucoup de ses collègues, Wyssem se retrouve obligé de braver le confinement “au moins quelques heures, pour payer mes charges“. Au cours des dernières années, l’activité de ces travailleurs s’est considérablement précarisée, les courses devenant de moins en moins rémunératrices, toujours selon des calculs obscurs dont les plateformes ont le secret. “Pour livrer des glaces à 6 euros de l’heure, on va transmettre ce virus. C’est malheureux“, déplore Wyssem.

Des travailleurs et travailleuses sans protections

Impossible en effet de demander des indemnités. “C’est le positionnement [des plateformes] depuis le début. Ils vont dire qu’ils n’ont obligé personne et que c’est aux travailleurs et travailleuses de prendre les mesures de précaution”, analyse Barbara Gomes, docteure en droit privé et spécialiste des plateformes numériques. “Il y a un écran de fumée qui est mis en place par les plateformes pour faire croire qu’elles font simplement de la mise en relation, qu’elles seraient en quelque sorte le Tinder du travail”, poursuit la juriste. En réalité, elles font bien plus que cela : elles donnent des ordres, organisent un cadre de travail et peuvent même sanctionner. Comme… un employeur classique. 

Cette relation de subordination a d’ailleurs été reconnue par la Justice à deux reprises, par le Conseil de prud’hommes de Paris en février dernier et par la Cour de cassation en mars, forçant les applications à requalifier les contrats de prestation de service en contrat de travail. 

Un projet de loi déposé

Les sénateurs communistes Fabien Gay et Pascal Savoldelli ont écrit ce 27 mars 2020 au Premier ministre Édouard Philippe à ce sujet pour réclamer des mesures d’urgence au gouvernement concernant la livraison à domicile dans le contexte de l’épidémie de coronavirus. Le vendredi 3 avril, certains livreurs se sont également mis en grève à l’appel de la CGT. Las, les plateformes n’ont pas répondu, et ont préféré annoncer un partenariat dès le lundi 6 avril avec le groupe Carrefour.  

Un silence dont les plateformes sont coutumières. Elles n’avaient pas non plus répondu aux mêmes sénateurs, qui, avec le groupe CRCE (Communiste Républicain Citoyen et Ecologiste) du Sénat, avaient déposé un projet de loi relatif au statut des travailleurs des plateformes numériques de livraison avant la crise sanitaire du coronavirus. Ils demandaient notamment un contrôle de la rémunération de ces travailleurs, une protection sociale décente et un droit à la représentation collective. Une pétition a été lancée en ligne pour soutenir ce projet de loi.

Reportage, texte et montage : Clara Menais. 

  1. 6
  2. 0
  3. 4

La production de ce sujet a nécessité :

Heures de travail
€ de frais engagés
membres de la Team
Parleur sur le pont

L’info indépendante a un coût, soutenez-nous