Il a pris tout le monde par surprise. Edouard Philippe a activé l’article 49.3 de la constitution samedi 29 février. Les député・e・s, les syndicats, en passant par les secteurs en lutte, l’opposition à la réforme des retraites s’y attendaient. Pour autant, l’interruption des débats à l’Assemblée nationale soulève une colère froide.
Il a bien changé, le Premier ministre, depuis le temps où dans l’opposition, celui qui était député de Seine-Maritime, se levait de l’hémicycle pour protester contre l’usage de l’article 49.3, utilisé pour imposer la Loi Travail en 2016. Samedi 29 février, ce même Edouard Philippe annonce qu’il engage la responsabilité du gouvernement sur la réforme du système de retraites. Les débats sont longs, trop longs, et menacent de déborder sur les municipales. Une situation impossible pour la majorité présidentielle, qui veut solder l’affaire avant le premier tour le 14 mars prochain.
“La vraie démocratie, elle est ici !”
Dès l’annonce du Premier ministre, devant quelques députe・e・s qui ont fait le déplacement en cette fin d’après midi, un appel à rassemblement est annoncé pour 19h30. Très vite, de nombreux camions de CRS entourent le Palais Bourbon. Personne n’est encore arrivé mais plusieurs policiers patrouillent. Ils affirment qu’aucun rassemblement ne sera toléré. Pourtant vers 19h30, ils et elles sont près de deux cent à emprunter le pont de la Concorde, pour se regrouper face à l’Assemblée. “49.3 c’est dégueulasse“, chantent-ils et elles face aux forces de police qui les repoussent. La nasse s’installe sur le pont pour quelques heures. “La vraie démocratie, elle est ici !“, dans le froid et la pluie, aurait-on pu ajouter.
Le 49-3 que tout le monde attendait sur les retraites
Anna, avocate au barreau de Paris, est en lutte depuis des semaines. Ce 49.3 ne l’étonne pas et pourtant la “pousse à bout“. Le gouvernement ne tient pas compte “de la rue, de tous les travailleurs et travailleuses mobilisé.e.s depuis des semaines et des mois“. D’autres y voient un signe de faiblesse du gouvernement qui ne fait plus confiance à sa majorité écrasante de députés, et règle ainsi ses problèmes de calendrier politique. Drapeaux syndicaux, Gilets jaunes, étudiant・e・s, avocat·e·s et quelques député・e・s de l’opposition, comme Elsa Faucillon ou Eric Coquerel, dénoncent le procédé en pleine flambée de l’épidémie de coronavirus. “Valls et Hollande, on ne peut pas dire que ça leur ait porté chance, le 49.3 !” sourit Olivier Besancenot, lui aussi venu à l’Assemblée.
Le coup, préparé en une journée, est tiré sans prévenir par la majorité LREM. Le gouvernement grille une cartouche précieuse. Le 49.3 ne peut être utilisé qu’une fois par session parlementaire. “Le volet organique de la réforme, qui constitue un nouveau projet de loi, doit également être débattu et ne pourra pas en bénéficier,” rappelle une avocate. Cette loi-ci, n’a pas encore terminé son chemin. La navette parlementaire l’envoie désormais au Sénat. Même s’il y a peu de chances que ce texte soit retiré, ou amendé de façon significative, cela fournit autant d’occasion de se mobiliser.
“On ne peut pas repartir dans un train-train de journées d’action syndicale, va falloir mettre le paquet.”
Le calendrier des centrales syndicales ne prévoyait pas un grand retour dans la rue pour les retraites avant le 31 mars. Pas suffisant pour Olivier Besancenot, qui tente de se réchauffer comme il peut devant l’Assemblée. “Quelles que soient les histoires des uns et des autres, on ne peut plus se payer le luxe de réfléchir chacun dans son coin.” Bouleverser la routine qui a fini par s’installer depuis le 5 décembre, et répondre aux nombreux rendez-vous déjà fixés pour ce mois de mars, voilà une stratégie qui pourrait payer pour ce porte-parole du NPA. L’intersyndicale se réunit lundi matin pour réfléchir à une mobilisation dans la semaine.
De fait, plusieurs journées de mobilisation sur d’autres thèmes peuvent agréger cette colère et faire caisse de résonance : avec les lycéen.ne.s contre le nouveau baccalauréat, avec les précaires de l’ESR. Le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, trotte dans la tête de plusieurs manifestant・es. “En 2016, le 49.3 a tué la mobilisation. Mais cette année, il y a quelque chose de spécial,” martèle un cheminot. “Les Français sont contre cette réforme, ils continuent d’être contre, et ils continuent de soutenir les grévistes.“
Un reportage d’Etienne Gratianette. Photo de Une : Etienne Gratianette
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