Des policiers effectuent un plaquage ventral le 9 janvier 2020 à Paris

Cri de colère contre les techniques d’immobilisation policières

La mort de Cédric Chouviat met une nouvelle fois en lumière la dangerosité de certaines techniques d’immobilisation utilisées par les policiers : clefs d’étranglement, plaquages ventraux et pliages. Ce vendredi, des collectifs de victimes de violences policières et leurs soutiens lancent un appel inédit à travers une tribune. Ils dénoncent l’impunité des brutalités policières et invitent à une marche, à Paris, le 14 mars.

Le matin du 3 janvier, Cédric Chouviat, livreur de 42 ans, père de cinq enfants, fait sa tournée en scooter dans les rues de Paris. Aux alentours de 10h, à l’angle de l’avenue de Suffren et du Quai Branly, il est contrôlé par quatre policiers. Difficile de connaître à ce jour le déroulé précis de ce contrôle. Ce que l’on sait pour sûr : l’homme meurt à l’hôpital Georges Pompidou moins de 48H après, des suites d’une asphyxie «avec fracture du larynx». Ces premiers éléments de l’autopsie sont communiqués par le parquet de Paris, qui a ouvert une information judiciaire pour «homicide involontaire». Dans la foulée, le Défenseur des droits Jacques Toubon annonce se saisir de l’affaire et une enquête IGPN est ouverte. Les motifs d’interpellation évoqués jusqu’ici choquent par leur caractère anecdotique : les policiers parlent de l’utilisation du téléphone portable au volant ou encore d’une “plaque d’immatriculation sale” raconte sa femme Doria Chouviat à L’Obs.

Une technique d’une dangerosité déjà prouvée

Grâce à l’appel à témoins lancé rapidement par la famille et sa défense, des vidéos amateurs de la scène émergent. On y voit Cédric Chouviat plaqué au sol, face contre terre. Trois policiers pèsent sur lui.

C’est ce qu’on appelle un plaquage ventral, ou décubitus ventral. Cette technique policière d’immobilisation controversée a déjà provoqué la mort de plusieurs personnes en France et dans le monde. On se souvient par exemple de la mort – elle aussi filmée en direct par un passant – de l’américain Eric Garner en 2014, dont les derniers mots “I can’t breathe” sont devenus un véritable cri de ralliement. Ainsi depuis plusieurs années, de nombreuses voix s’élèvent pour faire interdire cette pratique létale : des ONG comme Amnesty International ou l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture), des militant.es mais aussi des politiques. En effet, une proposition de loi visant à interdire ces techniques d’immobilisation létales a été déposée en février 2019 par la députée LFI Danièle Obono. Sans suite.

La France a d’ailleurs déjà été condamnée à deux reprises par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour des décès provoqués par plaquage ventral, en 2007 et 2009.

Un macabre sentiment de déjà-vu

En plus de la technique déjà connue et désignée comme potentiellement mortelle, le traitement de l’affaire du côté des autorités interroge. La communication empressée de la préfecture évoque dans un premier temps un malaise cardiaque et non une asphyxie. Cette parole mensongère rappelle d’autres affaires similaires comme la polémique entourant l’état de santé cardiaque du jeune Adama Traoré, mort le 16 juillet 2016, plus tard démentie par des contre-expertises. Autre fait tristement classique, la victime est, dans les jours qui suivent sa mort, criminalisée.

Aux yeux de l’avocat des fonctionnaires de police, Cédric Chouviat observait une attitude de “provocation verbale et physique”. Devenu un homme immaîtrisable, les policiers justifient la mêlée sur le bitume. Cette rhétorique de criminalisation évoque le nom d’Ibrahima Bah, mort en octobre dernier lors d’une intervention policière à Villiers-le-Bel. Le jeune homme de 22 ans est accusé par un communiqué de la préfecture du Val d’Oise de circuler au moment des faits sur un véhicule “non-homologué” et “signalé volé”. Mensonge plus tard contredit par le certificat de cession dudit véhicule, publié par l’Obs.

Un appel inédit contre l’impunité des policiers

Ce vendredi 31 janvier, le journal l’Humanité publie un appel inédit de collectifs de victimes de violences policières et leurs soutiens. Écrite dans le cadre de la campagne « Laissez-nous respirer », ils et elles dénoncent l’impunité policière. La tribune, qui s’appuie sur le décompte du média indépendant Bastamag, relève plusieurs interventions brutales qui auraient causé la mort en France en 2019. Face à ces décès, tous et toutes invitent à une marche, à Paris, le 14 mars, lors de la Journée internationale contre les violences policières.

Parmi les signataires de cette tribune se trouvent le rappeur Rocé, le collectif Vérité et Justice pour Adama et le collectif Nos vies volées. Les auteurs de la tribune réclament l’interdiction totale de l’usage par les forces de police de toutes les techniques d’immobilisation susceptibles d’entraver les voies respiratoires. Cet appel porte également une série de revendications au premier desquelles figure la création d’un organe public indépendant de la police et de la gendarmerie, pour enquêter sur les plaintes déposées contre les agents des forces de l’ordre.

Un reportage réalisé par Etienne Gratianette et Clara Menais. Photo de Une : Sylvain Lefeuvre. Musique de Mawup.

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