La vie s’est figée à Main d’Œuvres. Expulsé・es, les salarié・es et artistes de l’association occupent le trottoir d’en face pour sauver ce lieu culturel exceptionnel. Depuis début octobre, de nombreuses voix s’élèvent contre cette expulsion brutale.

Sur le trottoir face au bâtiment de briques rouges, les salarié・es et bénévoles de Mains d’Œuvres s’organisent. Le bâtiment industriel de 4000 m2 hébergeait l’association depuis 19 ans. En délicatesse avec la mairie de Saint-Ouen pour renouveler son bail, Mains d’Œuvres s’est retrouvée à la porte du jour au lendemain, sans solution.

Descente de police au petit matin

Atelier banderoles, rédaction de communiqués… tout le monde s’active depuis l’expulsion mardi 8 octobre au matin. Ce jour-là, les salarié・e・s et artistes arrivent sur leur lieu de travail, comme d’habitude. Ils et elles tombent nez à nez avec plusieurs camions de police. “On a d’abord cru à une descente de police pour évincer des dealers,” raconte Victoria, artiste passée en résidence à Mains d’Œuvres. “En fait, c’était pour nous” ajoute-t-elle.

Les occupant・es, stupéfait・es, se voient refuser l’accès au bâtiment et à tout le matériel professionnel et artistique qu’il contient. “J’ai dû appeler tous mes clients le matin pour annuler mes commandes.” Cyril Aboucaya, artiste menuisier, est membre du conseil d’administration de l’association. Les ouvertures du bâtiment sont murées, sous les yeux ébahis des salarié・es et soutiens. Les jours suivants, les spectacles sont annulés, puisqu’il est impossible de jouer sans les instruments restés à l’intérieur du bâtiment.

Le bâtiment qui abritait Mains d'oeuvres depuis 19 ans est surveillé par 10 agents de sécurité
Le bâtiment qui abritait Mains d’oeuvres depuis 19 ans est surveillé par 10 agents de sécurité ( photographie : Romane Salahun pour Radio Parleur)

L’expulsion de Mains d’Œuvres en pleine procédure juridique

Mains dŒuvres occupe ces locaux municipaux en Seine-Saint-Denis depuis 19 ans. Sauf que depuis 2017, l’association n’a plus de bail pour occuper le lieu. Passée à droite, la mairie de Saint-Ouen fait la sourde oreille aux demandes de renouvellement du bail. Le 2 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Bobigny se prononce pour l’expulsion. L’association fait immédiatement appel et se prépare pour une nouvelle audience le 3 décembre 2019. “De notre côté, on n’était pas dans la précipitation,” expliquent des salarié・e・s. Mal leur en prend. Le bâtiment de 4000 m2 est claquemuré par la police un mois avant l’audience.

C’est un lieu qui a toujours été ouvert” jure Victoria. Mains d’Œuvres, installée dans cette friche industrielle, fait figure de repaire culturel à l’échelle locale, nationale et européenne. “On accompagne chaque année plus de 250 résident・es dans toutes les disciplines artistiques” explique Juliette Bompoint, directrice de l’association, rivée à son téléphone.

expulsion Mains d'Œuvres
Deux rues plus loin, des habitant·es affichent leur soutien “pour des lendemains d’oeuvres” sur une banderole à leur fenêtre. (Photographie : Romane Salahun pour Radio Parleur)

La mairie de Saint-Ouen murée dans sa décision

Du côté de la mairie, c’est silence radio depuis l’expulsion de Mains d’Œuvres. Dans un communiqué, le cabinet de William Delannnoy, maire UDI élu depuis 5 ans avance l’occupation illégale de l’association depuis la fin de leur bail en 2017. 237 000€ de loyers restés impayés, et les “nuisances sonores” dont se plaignent les riverain·es. “Il y avait une négociation en cours sur cette dette, liée à un incendie […] elle a été annulée par le tribunal début 2016 […] on est étonné·es de voir ressortir un argumentaire daté,” s’interroge Juliette Bompoint.

Le renouvellement du bail n’est pas même pas une question pour le maire. Pour l’association, le dialogue est rompu depuis l’arrivée de William Delannnoy. “On a proposé beaucoup de choses au nouveau maire depuis 2014 […] des propositions qui n’ont jamais été entendues ou possiblement dialoguées.

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Les salarié.es de l’association créent des banderoles sur le trottoir face au bâtiment pour un rassemblement prévu le samedi 12 octobre (Photographie ; Romane Salahun pour Radio Parleur)

Des soutiens pour un tiers-lieu culturel

Le timing de l’expulsion est incompréhensible pour les salarié・es. Quelle pourrait être la raison de l’expulsion ? Pour le collectif, l’enjeu des municipales n’est pas loin. La mairie avance un projet de conservatoire, prévu depuis 2 ans. “Il n’y a pas de projet ou budget voté, en tout cas aucun membre du conseil municipal n’a pu voir la preuve d’un tel projet,” explique Juliette Bompoint. Son téléphone à la main, elle aligne les appels les uns après les autres pour réunir des soutiens lors du rassemblement prévu le samedi 12 octobre.

Sur le trottoir, un voisin de Mains d’Oeuvres passe à vélo offrir des biscuits maison aux salarié・es en plein atelier banderole. “Ils ont mis en place un vrai dynamisme culturel reconnu au niveau européen mais pas par la municipalité visiblement. J’étais un utilisateur complet du lieu” s’amuse-t-il. “Les rassemblements le soir étaient de bonne tenue…je n’ai jamais vu de débordements.


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Des soutiens des voisins au ministère

Au niveau institutionnel, les soutiens n’ont pas tardé à s’exprimer pour la défense de ce tiers-lieu culturel. Jusqu’au ministre de la Culture Franck Reister, qui appelle à une médiation dès le lendemain de l’expulsion de Mains d’Œuvres. “C’est d’une violence inouïe” s’insurge Victoria, “ils ont une perte sèche, entre les subventions en cours, tous les fournisseurs, toute la vie qu’il y avait dans ce lieu… c’est énorme“, ajoute-t-elle en pointant du doigt le bâtiment.

Suite à une demande au juge d’exécution des peines, l’association a obtenu l’avancement de l’audience du 3 décembre au 13 novembre prochain. Ses membres espèrent ne pas devoir laisser la place au projet non-abouti de conservatoire et obtenir un délai de 18 mois pour continuer leur activité.

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