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À Bure, lors de la marche féministe et antinucléaire du 21 septembre 2019. Photographie : Julie Maréchal

Deux jours à Bure : “fièrEs, déter’ et antinucléaires !”

Les 21 et 22 septembre 2019 s’est tenu à Bure, dans la Meuse, un week-end féministe et antinucléaire. Une mobilisation féministe écologiste organisée en mixité choisie qui apporte un vent de fraîcheur à la longue lutte contre ce projet d’enfouissement de déchets nucléaires.

Au loin, les cloches d’une église sonnent. Il est 16h en haut d’une colline qui domine les plaines de la Meuse, département de l’est de la France. Tout près, un bûcher vient de s’embraser. Des sorcières dansent autour au rythme d’un tambour soutenant l’effervescence commune. Ce qui brûle ? Un chat bleu en tissu digne d’un décor de carnaval, symbole de la puissance nucléaire et de son absurdité. Il ne s’agit pas d’un rendez-vous entre ami·es autour d’un rite obscur, c’est une lutte politique. Une mobilisation féministe et antinucléaire lors d’un weekend organisé en mixité choisie.

450 personnes environ se sont rejoint·es dans l’idée de renforcer ce combat mené depuis plusieurs années et d’expérimenter la lutte en mixité choisie. Sur place, des femmes cisgenre ainsi que des personnes, hommes et femmes, en transition de genre, qui ne se reconnaissent pas dans le genre qui leur a été attribué à la naissance, se retrouvent. Se croisent aussi des personnes non-binaires, c’est-à-dire qu’elles ne se ressentent pas tout le temps, pas entièrement ou pas du tout comme homme ou femme. Un rassemblement sans précédent pour la majorité des participant·es.

“La mixité choisie permet de partager la parole des personnes dominées”

Pour les organisateurs et organisatrices de cet événement, l’absence d’homme cisgenre “des personnes dont le genre ressenti correspond à leur sexe” permet d’entendre des paroles différentes. “La mixité choisie permet de s’organiser différemment, de partager plus facilement la parole et les expériences des personnes dominées”. Près du feu de joie, une militante détaille sa position : “c’est une évidence, le monde social est traversé de rapports de domination“. À ses yeux, s’en extraire est donc un moyen d’assurer sa survie ou du moins de militer plus sereinement. L’inclusivité des personnes trans fait également l’objet de réflexions particulières et de remise en question de la part de l’organisation, pour que ce week-end se déroule du mieux possible et que chacun·e se sente le plus à l’aise pour s’impliquer au cours de ces 2 jours.

Une grande cour où l’on partage les repas et les ateliers pendant le week-end antinucléaire et féministe. Crédits : Julie Maréchal

Lutte féministe, écologiste et antinucléaire, une convergence des causes

La mobilisation de ce weekend contre le projet d’enfouissement nucléaire s’appuie sur une colonne vertébrale intellectuelle, l’écoféminisme. Ce courant féministe combat à la fois les oppressions faites aux femmes et la destruction de l’environnement. Il développe l’idée que la société patriarcale actuelle met en place des mécanismes similaires de domination envers les femmes et les écosystèmes.

Le choix du lieu, Bure, ne doit rien au hasard. La Meuse et la Haute-Marne constituent un terrain de lutte depuis déjà plusieurs années pour la question du nucléaire. L’énergie “décarbonnée” selon ses promoteurs s’implante de plus en plus dans la région. Son fer de lance : le projet phare du site d’enfouissement des déchets nucléaires de Cigéo.

Organiser une marche à Bure, un exploit face à la répression

Le collectif des bombes atomiques constitué pour l’occasion, a planifié le week-end en proposant des temps différents et complémentaires. Le samedi matin, des ateliers s’organisent en auto-gestion : auto-gynécologie, auto-défense, informations sur la lutte à Bure, féminisme écologiste, création de costumes et de masques pour la marche. Des moments privilégiés où les militant·es peuvent se rencontrer, discuter et échanger. Ensuite, une explication sur la marche et sur le contexte de répression, qui risque d’en refroidir certain·es. Les consignes, distribuées sur papier, envisagent toutes les options possibles de rencontre avec la police. 

Des messages brodés décorent les lieux. Crédits : Julie Maréchal

Le départ pour la marche du samedi après-midi s’effectue en voiture après la dégustation d’un déjeuner aux petits oignons. Le trajet dure plus d’une demie-heure et traverse les bois et villages aux alentours de Bure, tous impactés par l’industrie nucléaire. La manifestation est dédiée à la lutte contre “L’Abominable” ou “Labo minable”. Un mot d’ordre qui offre son pesant de jeux de mots. Au départ de la marche, trois hélicoptères et un planeur surveillent les manifestant·es. Une très forte présence des gendarmes devenue une habitude pour les militant·es mobilisé·es dans ce petit village de La Meuse. 

La marche s’élance joyeusement sur le sentier de Grande Randonnée de Jeanne d’Arc, entre forêts et terres agricoles. Direction l’ANDRA, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. Le laboratoire abrite les scientifiques travaillant au projet d’un enfouissement de déchets nucléaires, de matières radioactives pendant plusieurs milliers d’années. Après un court blocage du cortège par quelques gendarmes mobiles, les militant·es ont repris leur chemin, jusqu’à arriver en haut de la colline pour fêter, chanter et danser autour du bûcher.

Quelles envies politiques pour un futur anti-nucléaire ?

Finalement, la journée est réussie par le succès de cette marche, la première manifestation à ne pas être réprimée depuis de longs mois. A la fin de la manifestation, une Assemblée Générale s’improvise et le week-end prend une tournure importante pour les luttes concernées. Les divergences de stratégies politiques se font jour pour continuer la marche, qui n’a pas rencontré de répression forte.

L’espace toilettes, joliment décoré de guirlandes de fanions. Crédits : Julie Maréchal

Les réponses fusent, chacun·e s’exprime, parle avec son cœur et les convictions politiques qui l’anime. Il n’y a pas de consensus, et du temps s’écoule avant que le débat ne s’arrête en s’écoutant patiemment. Le respect et l’entraide triomphent au dépend de celleux qui souhaitent tenter quelque chose de plus fort : le groupe reste uni, et ne se sépare pas lors du retour. Une militante et habitante de Bure souligne le caractère exceptionnel de cette marche réussie : “c’est incroyable d’avoir pu marcher, et même juste sortir du village sans se faire arrêter“, car la répression est telle que “même se balader en forêt est compliqué”.

Cette première assemblée marque le point de départ de discussions qui vont animer le reste du week-end, et notamment les AG planifiées le lendemain. Comment donner suite à ce moment suspendu ? Comment inventer des moyens de luttes qui ne sont pas forcément oppositionnels et frontaux avec l’ANDRA ? Mais avant la poursuite des discussions politiques, une soirée festive “Avenir Radieux” se tient, avec au programme une pièce de théâtre de la compagnie Les oubliettes, un concert et un DJ-set. Parce que lutter c’est aussi faire la fête !

Un reportage de Julie Maréchal et Sophie Peroy-Gay.

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