Depuis le 11 avril, le personnel de nettoyage travaillant pour l’entreprise de sous-traitance Elior à l’hôtel 4 étoiles NH Collection de Marseille est en grève. Ces grévistes, toutes femmes de chambre, demandent de meilleures conditions de travail. Une lutte difficile et un dialogue jusque-là impossible avec les employeurs.
Le 29 avril à Paris, syndicalistes et juristes de la CNT Solidarité Ouvrière franchissent les portes de l’hôtel Ibis Paris Bastille Opéra, drapeaux et tracts en mains. Dans ce hall végétalisé, le silence est rompu par les slogans des militants venus interpeller le directeur de l’hôtel sur l’entreprise de sous-traitance avec laquelle il travaille : la société Elior. Le but de ces militant.es est de faire naître des actions ponctuelles de soutien similaires dans différents hôtels du groupe Accor travaillant avec Elior, afin d’interpeller sur la situation à Marseille. Dans l’hôtel parisien, Marion, juriste à la CNT, est claire : c’est important d’alerter sur ce que fait Elior “parce qu’en tant que donneur d’ordre, [l’hôtel] a une responsabilité sociale vis-à-vis des salariés en sous-traitance”. Elle ajoute “l’idée serait que lui-même mette un coup de pression sur la société”. Les militant.es de la CNT ne quitteront l’hôtel Ibis qu’après que le directeur ait appelé un responsable d’Elior devant eux.
Hôtel 4 étoiles mais conditions de travail indignes
Sous le soleil phocéen du quartier de la Joliette, le confort 4 étoiles offert aux clients n’est pas la réalité quotidienne des femmes de chambre. Depuis que l’hôtel NH Collection, ouvert en décembre 2017, a changé de sous-traitant fin 2018, pour engager Elior, les conditions de travail et les salaires se sont dégradés pour les employé.es du nettoyage. Pourtant de l’argent, Elior n’en manque pas : la multinationale génère un chiffre d’affaires de plus de 6 milliards d’euros. Les femmes de chambre de l’hôtel marseillais touchent, de leur côté, à peine 900 euros par mois. Officiellement. Elles doivent travailler 5 heures par jour, mais rares sont les jours de travail qui se limitent à 5 heures. Derrière le paiement à l’heure – où les heures supplémentaires ne sont pas payées – se cache en réalité un travail à la tâche, pourtant interdit par le code du travail. En plus des heures non payées, les conditions se dégradent. Elles ne disposent plus de matériel suffisant et ont perdu leur prime repas avec le changement de sous-traitant. “Avant avec l’autre sous-traitant, on avait le droit de manger et d’avoir des pauses” raconte Leila, femme de chambre gréviste à l’hôtel NH Collection. Depuis le 11 avril, avec une dizaine de femmes de chambre de l’hôtel elle est en grève contre son employeur. “Elior refuse de les écouter alors qu’elles demandent des choses à peu près aussi basiques que le paiement de leur salaire et de toutes leurs heures travaillées” explique Marion, juriste à la CNT.
De son côté, la CNT-SO n’en est pas à son coup d’essai et soutient les grévistes marseillaises depuis le début. Le syndicat est même connu pour mener ses luttes jusqu’au bout, en témoigne la victoire des grévistes de l’hôtel Holiday Inn Clichy après 111 jours de grève. La grève avait permis l’internalisation des salariés de la sous-traitance fin 2018, après une lutte difficile. Cette fois-ci, Elior et l’hôtel NH Collection en tant que donneur d’ordre refusent le dialogue.
“Le directeur reste caché derrière sa porte et appelle ses policiers”
Partant du problème des heures de travail non payées et des conditions de travail dégradées, les revendications des grévistes se sont élargies au fil des jours. Les femmes de chambre demandent ainsi un treizième mois, le travail le dimanche majoré à 50% et une augmentation de 30 centimes par heure. En face, l’hôtel NH Collection rejette toute responsabilité puisque officiellement, les femmes de chambre ne sont pas leurs salariées, mais celles d’Elior. “Le directeur dit qu’on ne travaille pas pour lui, il n’est jamais sorti pour parler avec nous depuis le début de la grève” raconte Leila. Denise, femme de chambre gréviste elle aussi, ajoute “c’est nous qui faisons gagner de l’argent ! C’est grâce à nous que les clients trouvent leur chambre propre quand ils viennent ! L’hôtel, il n’est rien sans les femmes de chambre”. De son côté, Elior se ferme à toute négociation et ne s’arrête pas là. Dès avril, la société a poursuivi en justice les grévistes pour “atteinte à la liberté d’entreprendre”. Le 29 avril, alors que la CNT envahit l’hôtel Ibis à Paris, Elior est débouté de ses demandes par le tribunal de grande instance de Marseille. Victoire en demi-teinte pour les grévistes car les pressions ne s’arrêtent pas là.
Devant l’hôtel marseillais, les femmes de chambre tiennent chaque jour leur piquet de grève. Une modeste boîte en carton, sur laquelle est écrit « caisse de grève » est posée, bien en vue, sur une table de camping. Au cours des semaines de mobilisation, un réseau de soutien s’est tissé. Alimentée par des syndicats et des passant.es, cette boite en carton et une cagnotte en ligne permettent aux femmes de chambre de continuer de gagner de l’argent grâce à la solidarité locale, renforcée à l’occasion par des soirées et des repas de soutien. Malgré cela, une menace maintient sa présence depuis fin avril : la police, toujours postée devant l’hôtel. Certains jours sont plus durs et plus violents que d’autres. C’est par exemple le cas un samedi lorsque, tenant leur piquet de grève habituel, les femmes de chambre sont dérangées par la police qui menace d’emmener Leila au commissariat. Des grévistes reçoivent du gaz lacrymogène : “On est des femmes de chambre et on reçoit du gaz lacrymogène sur nous, sachant qu’il y avait des enfants présents” explique Denise. Les violences ne s’arrêtent pas aux menaces : “le policier m’attrape par le cou alors que le gaz rentre dans ma gorge, je n’arrivais plus à respirer” continue Denise. “De là, il me jette dans la voiture, j’avais le visage qui me brûlait. Une femme a voulu m’apporter de l’eau, le policier a jeté l’eau en disant que je ne la méritais pas”. Des femmes de chambre en grève sont emmenées au commissariat et passent 24 heures en garde-à-vue. Denise assure, pour sa part, que les policiers les menacent, si elles n’arrêtent pas leur grève sur la voie publique, de prendre leurs enfants.
Pour autant, elles n’abandonnent pas la lutte. En garde-à-vue, Denise tente de donner du courage à Leila “tu te bats pour ton fils, tu te bats pour que plus tard il dise je suis fier de ma maman, je suis fier qu’elle se soit battue pour elle et pour ses prochains”. Elles gardent le moral pour ne pas perdre le conflit. “On ne va rien lâcher. Depuis qu’il y a la grève, on est plus proches. Même si on ne gagne pas, on restera toujours toutes ensemble” conclut Leila.