Elles sont partout. Des murs du métro aux premières secondes de chacune des vidéos que vous consultez sur votre smartphone en passant par la télévision, le cinéma… Une omniprésence dénoncée par les militants antipub, une mouvance qui fait parler d’elle. La lutte joyeuse de ces activistes contre “la pollution visuelle” s’inscrit dans une critique plus vaste du capitalisme.
De plus en plus, la publicité à outrance dérange. Des groupes auto-constitués se réunissent ainsi pour enlever les affiches publicitaires des aubettes et « libérer l’espace visuel ». À l’occasion de l’acte XXI des Gilets Jaunes, Radio Parleur a rencontré un groupe de militants antipub, qui arrache ou détourne des affiches publicitaires pour dénoncer la pollution visuelle et le système capitaliste dans son ensemble.
Au centre social autogéré de Montreuil, les militants antipub se retrouvent, dès 2005, autour d’ateliers collectifs. « Pour détourner des affiches de pub ou en fabriquer de nouvelles sur papier craft », explique une activiste sous le pseudonyme de Robert Johnson. Selon cette militante, les “ateliers d’artivisme antipub” sont avant tout « un lieu de partage : partage d’idées, de sentiments, d’enthousiasme et de colère ». C’est logiquement l’artivisme, un mode de lutte mariant création artistique et critique politique, qui rassemble ces “créatifs”. Certains ont d’ailleurs travaillé avec les milieux publicitaires, avant de basculer de l’autre côté.
Une lutte joyeuse dans l’espace urbain
En divers endroits de Paris et sa banlieue, on tombe ainsi parfois sur des affiches publicitaires travesties. « On transforme le métro en galerie gratuite, immense et conviviale, ouverte à tous », se réjouit la susdite Robert Johnson. Ben, 28 ans, est graphiste de formation. « On est en train d’incarner ce qu’on aimerait voir en ville : que les gens s’approprient ces espaces pour s’exprimer, pour mettre de la beauté, de l’art, des messages importants. » Le partage et la créativité sont au cœur de leur démarche : « Ah non, on ne se prend pas au sérieux. On s’amuse beaucoup. La lutte joyeuse est une lutte pleine d’énergie ».
Ils ont conscience que l’impact de leurs actions est limité, éphémère. Ils ambitionnent modestement d’égayer, juste un instant, le quotidien des passants réceptifs. Tout le monde peut participer et dessiner, amateur comme professionnel : « Chacun vient avec son envie, son message ». Autrement dit, plus on est de fous, plus on détourne de pubs.
Les affiches des militants antipub dénoncent la surconsommation
Ben a été dégoûté par le monde de la publicité après y avoir travaillé : « En tant que graphiste, j’ai été formé à orienter le regard du spectateur, transmettre une émotion ou une idée à l’insu de la personne qui le regarde. […] On nous manipule avec des mécanismes un peu pervers, dont l’objectif est juste de faire du fric. » Au-delà de toute intention artistique, la critique véhiculée est bien politique : « Si on n’était pas dans une immense publicité permanente, peut-être qu’on achèterait beaucoup moins et qu’on jetterait beaucoup moins ». Tous dénoncent « l’immense gâchis de la surconsommation », que ce soit en énergie, en matières premières ou en talent humain.
Robert Johnson s’exclame que la publicité est une arme du capitalisme. « C’est quand même le deuxième budget mondial après l’armement ». Selon elle, la prolifération de la pub pourrait causer la mort des imaginaires. Ceux-ci disparaissent peu à peu, remplacés par des comportements normés et des représentations culturelles standardisées. Un Antipub rappelle à ce propos le sexisme caractérisé dont font preuve certaines publicités, régulièrement épinglées par des militantes sur les réseaux sociaux.
« C’est quand on a un moustique posé sur les testicules qu’on comprend que la violence ne peut pas tout résoudre »
Le groupe ne manque pas d’humour en ce qui concerne le détournement de slogans. Dans une publicité pour du déodorant, le « 0% d’aluminium » est remplacé par « 0% démocratique », alors que le « contre les odeurs » devient « contre les écolos ». Toute la scène est surplombée du fameux déodorant, devenu entre-temps une gazeuse, sur fond sonore de commentaires type « c’est quand on a un moustique posé sur les testicules qu’on comprend que la violence ne peut pas tout résoudre ». De même, sur cette affiche de pub pour Disneyland, le château a été remplacé par l’Arc de triomphe. Mickey devient gilet jaune et le visiteur un militant pratiquant le black bloc.
Seulement, de récents événements ont prouvé que la dérision publicitaire n’est pas sans risques. Sous le pseudonyme de Nepo Mussen, un des membres décrypte : « On profite des manifestations de Gilets Jaunes pour faire ça parce que ça a un côté rassurant, on se protège des éventuelles interventions de police ». Les actions des groupes Antipub sont pourtant pacifiques. En 2018, trois activistes avaient été interpellés pour avoir arboré une banderole « Macron Pétain câble ». Une réponse aux déclarations controversées du Président lors du centenaire de l’Armistice de 14-18. Pour les Antipub, ce délit “d’outrage en réunion à personne dépositaire de l’autorité publique” pose problème : « La démocratie c’est aussi accepter la critique ».
Le public témoigne régulièrement de son soutien aux activistes. « En général, les gens applaudissent, prennent en photo. Ils voient bien qu’on ne dégrade pas les aubettes, on remplace simplement les affiches dessus », déclare Alex Charpentier, membre de la brigade Antipub. Robert Johnson raconte qu’elle a déjà failli être arrêtée pour avoir décollé des affiches publicitaires, avant d’être cachée par des passants dans le métro. « Petits actes de résistance, petits actes de solidarité. C’était merveilleux ! »
Un reportage réalisé par Coline Desselle et Etienne Gratianette.