De la maternelle au lycée, la loi Blanquer fait l’unanimité contre elle. Le 14 mai dernier, enseignant・e・s, syndicats et parent・e・s d’élèves ont protesté devant le Sénat contre cette loi « école de la confiance ». Derrière cette mobilisation, la crainte d’un article 1 qui briderait la parole des enseignant・e・s.
Il est 13h30 lorsqu’une petite centaine de personnes commence à se rassembler devant le Sénat. Enseignant・e・s et parent・e・s d’élèves répondent à l’appel lancé par les syndicats CGT Educ’Action Paris, CNT-STE75, Sud Education Paris. C’est le premier jour où la loi Blanquer est présentée aux élu・e・s afin d’être amendée. Elle sera définitivement votée la semaine prochaine par les sénateurs.
La loi est complexe, lourde, disparate pour les enseignant・e・s : « J’ai dû demander de l’aide pour tout comprendre. Et même après ça, beaucoup de questions restent vagues », explique Emmanuelle, enseignante en éducation prioritaire à Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine. Le texte porte à la fois sur une réforme des écoles maternelles, des collèges, des lycées et de l’enseignement lui-même.
Primaires et collèges sous la houlette d’un même chef
La nouvelle loi introduit une nouvelle organisation de la direction des établissements qui fait grincer des dents. Certaines écoles primaires seront en effet regroupées avec des collèges. Le directeur ou la directrice de la primaire aura donc au-dessus de lui ou d’elle un・e chef・fe, qui dirigera le groupe scolaire. Un・e supérieur・e hiérarchique qui aura autorité pour imposer d’autres méthodes pédagogiques aux professeur・es des écoles, ce qui ne les convainc pas du tout. D’autant que ces directeurs et directrices seront nommés par les ministres.
Derrière le projet de loi, la peur d’un contrôle permanent
L’article 1 affirme que « l’engagement » et « l’exemplarité » nécessaires des professeurs « contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation ». En lisant cela, beaucoup d’enseignant・e・s ont levé les sourcils. « Contrairement à ce qu’on peut nous dire, le devoir de réserve n’existe pas pour les enseignants. On a un devoir de neutralité face aux élèves, mais on a le droit de s’exprimer devant vos micros ou sur les réseaux sociaux » ; résume Emmanuelle, enseignante en éducation prioritaire à Gennevilliers (92).
« On est fonctionnaires donc on fonctionne, d’accord. Mais on a en face de nous des enfants, des êtres humains. Quand on considère qu’il y a des problèmes, on a le droit de poser ça dans le débat public, » explique un autre. Ils pensent en effet que cet article sous-entend que les professeur・e・s pourraient être sanctionné・e・s s’ils et elles venaient à critiquer l’institution. Plusieurs disent avoir subi des pressions : rappels à l’ordre, menaces de blâme, mutations obligatoires. La crainte est palpable. Même dans ce rassemblement protestataire, beaucoup refusent de mentionner leur nom et témoignent anonymement dans les interviews. Le ministre lui, joue le malentendu. Face aux sénateurs mardi dernier, il a concédé une réécriture de l’article, qui insiste d’avantage sur l’autorité des professeur・e・s.
Encore de nouveaux instituts de formation pour les profs
La loi prévoit également de remplacer les Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education (ESPE), créées en 2013 pour remplacer les IUFM, supprimés par François Hollande, par des Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat (INSP). Ce que ça change ? Là encore les explications sont très floues. Dans tous les cas, cela implique que les jeunes profs travailleront directement à temps plein dès l’obtention de leur diplôme. Aujourd’hui, ils et elles ne sont face aux élèves que quelques heures par semaine, et le reste du temps en formation. Une mise dans le bain progressive, et nécessaire pour Raphaël qui enseigne les mathématiques dans un collège depuis dix ans. « Avoir seulement une classe ou deux pour commencer, ça permet de survivre à cette première année qui est très difficile. »
Un temps de travail inférieur à celui des enseignants étrangers ?
Une annualisation du temps de travail est également discutée. Cela signifie plus d’emploi du temps fixe pour les enseignant・e・s, mais des plannings de travail différents chaque semaine, calculés selon un système de compensation. Selon le ministre, les profs français・e・s auraient un temps de travail inférieur à celui des enseignant・e・s étrangèr・e・s. Raphaël est ébahi devant ce propos : « Mais ils ont comparé nos salaires ? En France, les enseignants sont bien moins payés en moyenne qu’à l’étranger ».
Un・e enseignant・e français・e gagne en moyenne près de 24 595 euros bruts par an, soit le même tarif qu’en Italie ou à Chypre par exemple. Loin derrière leurs homologues allemand・e・s (près de 44 860 euros par an) ou anglais・e・s (30 646 euros). Les mieux loti・e・s sont les luxembourgeois・e・s, avec près de 72 000 euros par an ; alors que le salaire le plus bas reste celui des professeur・e・s roumain・e・s (environ 3 583 euros annuels) selon un rapport de la Commission européenne de 2018.
Des assistant・e・s qui enseignent à la place des profs
Les assistants d’éducation (AED), pourront se voir attribuer des fonctions d’enseignement. Le but est de développer l’attractivité de certaines disciplines, pour lesquelles on manque de professeurs : mathématiques, lettres, anglais, allemand… Angole, présidente élue 95 des parents d’élève à la FCPE (Fédération des Conseils de Parents d’Elèves), trouve que même s’ils et elles sont compétent・e・s, ces jeunes n’ont pas encore le recul nécessaire pour enseigner : « J’ai très peur pour l’avenir de mes enfants ».
Un enseignement pour les plus jeunes financé par les communes
Professeure des écoles, Alice explique pourquoi rendre l’école obligatoire dès l’âge de 3 ans est une fausse bonne idée. Aujourd’hui, l’instruction est une obligation dès 6 ans. Abaisser de trois ans cet impératif est tout bonnement inutile : « 98% des élèves de moins de 6 ans sont déjà scolarisés. Une mesure pour les 2% restants, c’est dérisoire ».
Jusque là, on pourrait hausser les épaules et passer à autre chose. Sauf que le sous-texte de la loi cache un loup, financier celui-là. “Les communes ont l’obligation de financer l’enseignement privé à partir de 6 ans. En abaissant l’âge de l’instruction obligatoire, les communes seront obligées de financer les écoles privées à partir de la maternelle” explique Alice. Cette mesure sous-tend en effet une extension de la loi Debré de 1959, qui oblige les municipalités à financer de manière égale les écoles élémentaires publiques et les écoles privées sous contrat.“Sous couvert de faire une loi qui promeut l’instruction des plus jeunes, on fait un cadeau de plusieurs millions aux écoles privées”, s’insurge Alice.
Les syndicats essaient de mobiliser largement autour de cette loi “qui va dans tous les sens“, notamment parmi les parents d’élèves. « Ce n’est pas simple. La plupart des mesures sont extrêmement floues. C’est du jargon jargonnant », résume Alice. Pourtant, avec la mobilisation contre le projet de loi, ils attendent un nouveau souffle et un réveil de l’opposition, espérant que tout n’est pas encore joué, puisque le vote définitif n’aura lieu que la semaine prochaine.
Un reportage réalisé par Coline Desselle.