L’événement est historique. Avec la pandémie, le système économique et nos modes de vie se figent. Déjà, certain·es poussent vers une reprise “comme avant”. Contre cette vision, des voix s’élèvent. Avec « Ceci n’est pas une parenthèse », Radio Parleur vous propose une série de podcasts pour entendre celles et ceux qui pensent aujourd’hui à un lendemain différent.
Nous pourrions presque oublier que 30% des oiseaux des champs et des papillons des prairies a disparu au cours des trente dernières années. Pendant le confinement, les merles ont chanté plus fort et les dauphins ont nagé dans les ports aux eaux claires. N’était-ce là qu’une parenthèse enchantée, où les biches se promenaient librement dans les rues ? Sur le plan de la survie des espèces menacées, très certainement. La crise du coronavirus n’a pas eu d’effet sur le climat, ni sur le déclin de la biodiversité. En revanche, la prise de conscience qu’il est temps de redonner à l’humain sa juste place dans le vivant fait son chemin.
“S’il n’y a plus de biodiversité, je ne donne pas cher de notre peau”
Dans le septième épisode de Ceci n’est pas une parenthèse, Hélène Soubelet s’interroge sur cette prise de conscience nécessaire. Directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, cette grande spécialiste de la biodiversité a signé plusieurs entretiens et tribunes pour défendre l’idée de zones protégées de l’activité humaine.
“On ne pourra pas s’occuper uniquement du sanitaire sans s’occuper de la biodiversité. On peut simplement rappeler qu’en terme de biomasse, les virus pèsent plus lourd que tous les humains réunis.” Autrement dit, la biodiversité joue aujourd’hui les zones tampon entre les humains et ces pathogènes. “S’il n’y plus de biodiversité entre eux et nous, je ne donne pas cher de notre peau.”
Protéger ne suffira pourtant pas. Pour la chercheuse, il est urgent de modifier en profondeur les activités humaines, “qui ne sont pas seulement bonnes ou mauvaises en elles-mêmes. Si vous prenez l’agriculture, plus grand facteur de déforestation, cultiver du maïs sur de très grandes surfaces est nuisible. En revanche sur de petites surfaces, avec alternance d’autres cultures, pas du tout.” Le problème ne se limite donc pas aux activités très destructrices, comme la pêche électrique (qui ne sera interdite qu’en 2021, après des années de bataille à l’échelon européen).
Des mesures aussi radicales pour le climat et la biodiversité que contre le coronavirus ?
“En période de crise sanitaire, parce que le virus nous a aussi touché chez nous, en Europe, on prend des mesures pour éviter une catastrophe encore pire” explique Hélène Soubelet. Peut-on espérer que celui qui se proclame champion du climat à l’international, Emmanuel Macron lui-même, plaidera pour des mesures aussi radicales ? “Il faudrait que le président s’engage sur des choses très concrètes, comme l’arrêt de la déforestation importée, c’est-à-dire des produits que nous consommons et qui génèrent de la déforestation massive, notamment dans les pays tropicaux.”
Ces mesures ne pourront pas être prises par le seul ministère chargé de l’environnement. Pour Hélène Soubelet, qui fut cheffe de la mission Biodiversité au ministère de l’Écologie sous la présidence de Nicolas Sarkozy, tous les ministères doivent coopérer, pour que tous les secteurs d’activité intègrent la conservation de la biodiversité dans leur logiciel.
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Procrastination et urgence écologique ne font pas bon ménage
Pour l’instant, l’urgence de la crise du coronavirus ne semble pas s’être étendue à une crise écologique pourtant bien entamée : “la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité [IPBES, ndlr] avait dit que nous avions 10 ans pour agir, ça laisse le temps de changer certaines activités, en les mettant sur une trajectoire durable.” On a le temps, alors ? “Non, et c’est aussi la faiblesse de cet avis, qui encourage à remettre au lendemain ce qu’il est urgent de faire aujourd’hui.”
Cette urgence, les mouvements écologistes l’ont fait résonner dans toutes les couches d’une société en train d’évoluer. Pour Hélène Soubelet, il reste pourtant encore des efforts à faire. “Nous n’avons pas encore cette conscience éthique que nous faisons partie de la biodiversité, et que nous n’avons pas plus de droits que les non-humains à habiter sur cette planète. Même si nous avons plus de moyens de détruire les espèces qui se mettent en travers de notre chemin, ce n’est pas une raison pour le faire. Il est temps de devenir adultes.”
Retrouvez, chaque vendredi, un nouvel épisode de votre podcast « Ceci n’est pas une parenthèse » sur le flux «Penser les luttes»
Un podcast réalisé par Violette Voldoire. Photo de Une : Violette Voldoire pour Radio Parleur.