Retour à l’école de la méfiance. Les critiques pleuvent du côté du corps enseignant et des syndicats contre la reprise progressive de l’école à partir du 11 mai, jour de la fin du confinement. La sécurité sanitaire des personnels et des élèves inquiète.
C’est la reprise… Après deux mois de cours assurés à distance ou en présentiel pour les enfants de soignant·es – la fameuse “continuité pédagogique” – les maternelles et primaires vont reprendre le chemin de la classe. La semaine prochaine, les collégien・nes de zones vertes retrouveront à leur tour établissements scolaires, cantines et salles de perm.
Le confinement a beau être dur, parents, personnels et élu・es ne veulent pas tou·tes se précipiter dans cette reprise de l’école. En Île-de-France, l’Intersyndicale et de nombreux maires appellent à repousser la date de cette rentrée qui n’en est pas une.
Une “garderie” avec un·e élève par table
Béatrice, professeure des écoles en Isère, est “totalement angoissée” depuis les annonces d’Édouard Philippe. La circulaire du ministère de l’Éducation nationale dresse, dès ce 4 mai, le cadre sanitaire dans lequel s’organise la reprise de l’école. Pour prolonger les mesures de confinement, un protocole de 56 pages devra être appliqué scrupuleusement. En substance, ce dernier s’appuie sur six piliers : distanciation physique, gestes barrières, limitation du brassage des élèves, nettoyage des locaux et matériels, formation et communication.
Comment faire respecter ce protocole à des enfants de 3 à 6 ans se demande Béatrice, professeure des écoles ? “En gardant les enfants de soignants on a fait un crash test. Je n’arrivais pas à faire respecter les gestes barrières.” L’école change alors de visage pour ces maternelles et primaires, où tout devient interdiction. “On passait notre temps à dire ‘Non, ne fais pas ça’, alors que l’école est un endroit qui est censé rassurer les élèves, pour s’épanouir et apprendre.”
En outre, la “souplesse locale” mise en place par le gouvernement créé un flou et un capharnaüm de situations sur le territoire. “Nous n’avons aucune information en zone rouge”, précise Manu, AESH, accompagnant d’élèves en situation de handicap, de l’académie de Paris.
Le discours sur le confinement et les inégalités scolaires passe mal
La rhétorique déployée par le gouvernement s’appuie sur un argument massue : il faut en finir avec les inégalités scolaires. Adrien, enseignant du premier degré à Bobigny en Seine-Saint-Denis, n’est pas dupe. “Les inégalités à l’école, on en parle depuis longtemps. On dirait que le gouvernement vient de les découvrir. On a encore des fermetures de classes dans le 93.”
Reprendre les cours pour le bien des élèves, “même sans Jean-Michel Blanquer on se pose ce cas de conscience. On veut revenir dans nos écoles.” Pour Adrien, représentant syndical de la CGT Educ’action 93, l’art et la manière du ministre de l’Éducation nationale confine surtout à la culpabilisation des enseignant·es.
Béatrice trouve également l’argument fallacieux. “Sur mes deux écoles, de tous les enfants en difficulté, aucun ne revient. Ce ne sont pas ces familles qui mettent l’accent sur l’école.” À cela s’ajoute une peur de la sortie du confinement pour beaucoup de parents, pris en sandwich entre la reprise de leur propre travail et le risque de contamination.
À défaut de masques, une protection juridique ?
Comment éviter la reprise forcée de l’école dans ces conditions post-confinement ? Dans cette période de stress, Béatrice s’aide beaucoup des informations auprès des syndicats pour se protéger si “ça se passe mal”. Elle pourrait être inquiétée pénalement s’il est prouvé qu’elle ne respecte pas le protocole et qu’un·e enfant ou un·e enseignant·e tombe malade.
Représentant syndical, Adrien rappelle qu’il faut d’abord faire usage du “droit d’alerte pour obtenir un droit de retrait”. Dans l’académie de Rouen, enseignant・es et parents d’élèves préviennent : si masques, gels hydroalcooliques et tests ne sont pas mis à disposition dès ce 11 mai, il n’y aura aucune garantie de la réouverture des classes. Leur pétition recueille plus de 10 000 signatures.
La grève, une solution ? “C’est difficile pour les collègues, qui n’ont pas de revenus et qui ont participé aux grèves contre la réforme des retraites”, ajoute-t-il. S’il mise tout sur la mobilisation collective, Adrien avoue que celle-ci est quasi-inexistante. En cause : la peur de la hiérarchie et le manque de temps face aux directives qui se renouvellent jour après jour. “Beaucoup se sont résignés à rejoindre le chemin de l’école“, avoue-t-il.
Un reportage réalisé par Romane Salahun. Photo de Une : Violette Voldoire pour Radio Parleur.