Espaces numériques de travail saturés, manque d’ordinateurs, problèmes de connexion… Depuis que les établissements scolaires sont fermés, nombreux sont les problèmes que rencontrent élèves et professeur·es. Les cours à distance s’organisent, et avec eux se creusent la fracture numérique et les inégalités entre élèves.
Face au confinement, l’enseignement doit lui aussi trouver un moyen de garder le rythme. L’organisation de cours à distance est la solution que le gouvernement a privilégiée pour assurer la continuité dans ce domaine. Or, les élèves sont loin d’être en position d’égalité devant ce dispositif. Pour celles et ceux qui n’ont pas d’ordinateur à la maison, tout particulièrement, l’absence de solutions se laisse sentir.
Internet à la maison : un prérequis
La situation est source de colère parmi les professeur·es. Ils et elles dénoncent les directives de l’Éducation nationale demandant aux enseignant·es d’assurer la “continuité pédagogique”, mais qui n’assurent pas à l’ensemble des élèves un accès égalitaire à l’enseignement. Marina, professeure d’espagnol, sonne l’alarme : “On va créer une fracture entre ceux qui ont, soit leur ordinateur portable personnel, soit un smartphone qui permet de suivre les cours en ligne, et ceux qui n’ont pas tous ces accès, et qui n’ont pas forcément les compétences pour suivre.”
Félix, professeur d’histoire-géographie à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), a compté le nombre d’élèves ayant un ordinateur dans sa classe. Sur 24 élèves, seulement la moitié peut en utiliser un pour travailler à domicile. Et encore, « ceux qui ont un ordinateur doivent le partager avec un frère ou une sœur au minimum », souligne-t-il.
Les cours et devoirs sont donnés via des espaces numériques de travail (ENT). Jeanne Mazars, professeure de français dans un collège classé en éducation prioritaire, explique comment elle s’organise pour faire cours à distance : “En fonction de leurs moyens, les élèves s’organisent pour envoyer une trace de ce qu’ils ont fait. Je leur ai dit : soit vous prenez une photo avec votre portable ou avec le portable de vos parents et vous le mettez sur cette application-là, soit vous l’envoyez par mail. Donc certains le font sur leur cahier, d’autres directement sur l’ordinateur.”
Des ENT saturés et une continuité pédagogique toute relative
Dès le lundi 16 mars, les ENT ont été pris d’assaut. Très vite, ils saturent. “Impossible de se connecter au serveur”, pouvait-on lire sur la plupart des pages web. Louise, élève de 3e au collège Jean-Philippe-Rameau à Versailles, n’a pas pu avoir accès à ses devoirs directement. La jeune fille est organisée et compte suivre son emploi du temps pour ne pas prendre du retard. “J’ai pas envie de rater mon brevet. Ça risque d’être un peu compliqué pour les révisions. Même si on a les professeurs, ça va être dur”, témoigne la jeune fille.
Les boîtes mail académiques n’ont pas suffisamment de capacité pour contenir les mails des élèves. Jeanne a en effet dû donner son adresse mail personnelle. “Là, bizarrement, alors qu’on nous a toujours dit qu’il ne faut utiliser que nos mails académiques, il faut qu’on donne un mail privé pour que les élèves puissent nous envoyer des choses”, remarque la professeure de français.
Derrière la “continuité pédagogique”, un suivi des cours très inégal
Même si Louise rencontre des problèmes de connexion, elle partie des étudiant·es qui peuvent travailler en autonomie. Beaucoup ne sont pas dans ce cas. En plus de celles et ceux qui ont des difficultés de connexion, ou qui n’ont pas d’ordinateur, certain·es ne peuvent pas être suivi·es par leurs parents. “Tous ceux qui ont des parents ouvriers, qui vont donc être envoyés au front, ou bien caissiers et caissières, qui vont devoir aller travailler, eux ils ne seront pas accompagnés à la maison. Ils vont se retrouver seuls, déplore Félix. Même si on essaye de maintenir à flot un lien, on est quand même globalement dans une rupture d’égalité.”
Gilli est en 4e au lycée Henri Wallon d’Aubervilliers. Ses parents ne parlent pas français et ne peuvent pas l’aider à faire ses devoirs. La jeune fille n’a pas d’ordinateur non plus. Elle se débrouille alors avec son téléphone portable: “Y’a des problèmes de fichiers. Les profs nous disent de prendre en photo les devoirs qu’on fait et de leur envoyer sur Pronote, mais moi je peux pas car il y a des problèmes de limite de Mo. Je reçois une notif : “le fichier a dépassé la limite de mo”. Ça veut pas s’envoyer”.
Jonathan, délégué de sa classe, tente au mieux d’aider ses camarades. “Je les aide parce que je sais qu’ils ont des difficultés. On fait un groupe sur whatsapp et on se soutient. J’essaye d’envoyer les consignes du travail”, explique l’adolescent.
“On n’a pas encore réussi à contacter ceux dont on n’a pas de nouvelles, ajoute Marina. Et on ne sait pas pourquoi ils n’ont pas travaillé : est-ce que c’est des difficultés à se connecter ? Est-ce que c’est un manque de volonté pour l’instant ?”. Pour avoir des nouvelles et garder un lien, certains enseignants passent des coups de fil. C’est le cas de Félix, qui appelle toutes les semaines ses élèves ou leurs familles pour vérifier que tout va bien, et qu’ils arrivent à travailler.
« On ne fait pas cours à distance, on maintient un lien »
Le professeur d’histoire-géographique est catégorique. Pour lui, les professeurs n’assurent pas la continuité pédagogique et ne font pas cours à distance. “Faudrait trouver un autre nom, parce que cours à distance c’est pas le bon mot. On essaye plutôt de maintenir un lien. Le numérique ne permet pas tout ce qu’on peut faire habituellement en termes d’humain. L’accès au savoir se fait via des personnes, via des échanges”, souligne-t-il.
La charge des professeur·es est donc immense. En plus d’adapter leurs cours, ils assurent un suivi pédagogique intense pour ne perdre aucun élève, ou du moins essayer. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education, a annoncé des cours d’été pour permettre à certains de rattraper leur retard. Mais les professeurs s’inquiètent. Cela ne suffira pas à rattraper les inégalités scolaires entre les élèves.
Un reportage réalisé par Marion Pépin. Photo de Une : Marion Pépin pour Radio Parleur.
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