Huitième semaine de grève terminée. Depuis le 6 janvier, des avocats et avocates des 164 barreaux de France sont en grève pour lutter contre le projet de réforme des retraites. Renvois de dossiers, blocage du Palais de justice de Paris, manifestations, grève du zèle… Un mouvement protéiforme.
Les robes noires du Syndicat des avocats de France (SAF) se réunissent ce mardi 25 février, drapeaux syndicaux en main, devant l’entrée du conseil de prud’hommes de Paris. Malgré le vent et la pluie, ils et elles informent sur la réforme des retraites en distribuant des tracts aux justiciables et aux travailleurs de la justice. L’action est réitérée le lendemain.
Pour Rachel Saada, avocate en droit du travail : “L’augmentation des cotisations va, en réalité, aboutir à une espèce de plan social sans indemnités ni chômage.” Selon le Conseil national des barreaux, la moitié des 70 000 avocat·es gagne moins de 40 000 euros par an. Ils et elles seraient les premier·ères touché·es, pendant que les plus gros cabinets pourraient subsister. De cette façon, la réforme des retraites régulerait la profession d’avocat et en fait disparaître une partie. “Curieusement, celle qui s’occupe des classes moyennes et populaires. Comme c’est étrange“, ajoute Rachel Saada.
Avocat : profession menacée
Aujourd’hui, les avocat·es ont leur propre régime de retraites autonome et excédentaire. Il reverse chaque année plusieurs dizaines de millions d’euros au régime général. Ce qui participe à la solidarité nationale. Avec la mise en place d’un régime universel, les avocat·es craignent pour l’avenir de leur profession. Ils et elles remettent en cause un doublement du taux de cotisations retraite, passant de 14 à 28%. Sur ce point, le tract du SAF est clair. Cette décision placerait “40% des avocat·es devant un choix simple : augmenter les honoraires, ce qui empêchera nombre de salarié·es de faire valoir leurs droits ; ou quitter la profession, ce qui empêchera nombre de salarié·es de trouver un·e avocat·e aux honoraires accessibles.“
De son côté les avocat.e.s du @syndicatavocats crament quelques fumigènes. pic.twitter.com/uT4BvAuiDl
— Etienne G. (@EtienneRedCat) March 3, 2020
Vendredi 28 février, la ministre de la justice Nicole Belloubet a reçu des représentant·es des avocat·es. Pour aider les plus petits cabinets, la garde des sceaux a promis une hausse de l’indemnisation pour l’aide juridictionnelle, qui permet aux avocat·es de défendre les justiciables les plus pauvres. Seulement cette hausse promise n’est pas chiffrée. Une mission a été confiée à Dominique Perben, ancien garde des sceaux, pour trouver des propositions d’ici la fin du mois d’avril. De leur côté, les avocats et les avocates n’entendent pas arrêter le mouvement de grève.
Une justice de classe amplifiée
Si les avocat·es distribuent des tracts à toutes les personnes passant dans la rue, ce n’est pas un hasard. Au-delà d’informer sur les conséquences de la réforme des retraites sur leur profession, les avocat·es veulent montrer que c’est tout un chacun qui est concerné. Si des avocat·es en viennent à quitter la profession ou augmenter leurs honoraires, ce sont les justiciables qui en pâtiront. Le tract du SAF le précise : “Ce qui est en cause, c’est l’accès à la justice des plus démunis, des plus bas salaires.” Le risque, c’est que les justiciables avec de faibles moyens ne puissent plus s’accompagner d’avocat·es pour se défendre et creuser ainsi une inégalité de traitement devant la justice.
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Pour le conseil de prud’hommes, la réforme des retraites viendrait s’ajouter à de précédentes réformes déjà mises en place : la réforme de la procédure prud’homale, de la procédure d’appel et le barème Macron qui fixe un plafonnement aux indemnités pour licenciement abusif. Des conséquences de ces réformes sont déjà constatées : le nombre de saisines pour cette juridiction a grandement diminué, passant de 187 651 saisines en 2014, contre 127 000 en 2017. Et ce sont les droits des salarié·es face aux employeurs qui sont directement touchés.
La grève des avocat·es relancée par le 49.3
Samedi 29 février, alors que des avocat·es grévistes du barreau de Paris défendaient massivement et bénévolement plusieurs des dossiers jusque tard dans la nuit, le premier ministre a annoncé le recours à l’article 49.3 de la Constitution. Pour autant, la grève ne faiblit pas cette semaine. Le conseil de l’ordre a voté ce mardi la poursuite de la grève jusqu’au mercredi 25 mars. Dans le même temps, les avocat·es annoncent vouloir saisir le Conseil constitutionnel.
Avec les justiciables, le dialogue ne rencontre pas d’hostilité. “Il y a un espèce de ras-le-bol. Je ne vois personne dire : je suis pour le projet de réforme des retraites. Les gens sont soit indifférents, soit ils sont franchement hostiles“, estime David van der Vlist, secrétaire général du SAF. De son côté, Rachel Saada précise : “Mes clients comprennent pourquoi je renvoie mes dossiers et me soutiennent.“
Au-delà de la réforme des retraites, une véritable bataille pour la sauvegarde de la justice et du service public est en jeu. Cette grève des avocats et des avocates permet de mettre en lumière les problèmes de la justice. Des greffier·ères et magistrat·es se sont également joint·es aux avocat·es sur des déclarations communes. La ministre de la justice a pourtant voulu les opposer, en leur témoignant son soutien face à la grève. Mais deux des plus importantes organisations syndicales de la magistrature ne sont pas allées dans son sens. “Ils lui ont expliqué que l’état catastrophique de la justice dans ce pays n’était certainement pas dû à la grève des avocats, annonce Hervé Tourniquet, avocat au barreau de Paris. Ça fait deux mois que nous sommes en grève. Ça fait des années que nous avons une justice avec un budget de misère et un manque criant de moyens humains et matériels.“
Un reportage réalisé par Prisca Da Costa. Photo de Une : Pierre-Louis Colin
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