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Affaire du “8 décembre” : Les kurdes face au stigmate terroriste

Une affaire peut en cacher une autre. En ce moment se tient le procès en appel des “Kurdes de Marseille”. Le parquet national anti-terroriste  présente cette affaire sous l’angle de l’extorsion de fond au profit d’une organisation terroriste : le PKK, parti des travailleurs du Kurdistan. Une désignation très utile pour réprimer l’internationalisme, et la lutte du peuple kurde pour l’autonomie.

Dans le précédent épisode, nous avons résumé de manière partiale et partielle le mouvement révolutionnaire kurde à la lutte contre Daesh en Syrie et au confédéralisme démocratique comme perspective révolutionnaire. Partielle, puisque le premier cri du mouvement révolutionnaire kurde c’est d’abord son autonomie du joug colonial et sa volonté d’auto-détermination. En bref, c’est avant tout une lutte pour l’existence que mènent les Kurdes.

Un peuple colonisé et réprimé

À la fin de la Première Guerre mondiale, les puissances occidentales et coloniales s’arrogent le droit de découper comme elles le souhaitent le défunt Empire ottoman et donc le Moyen-Orient. Entre 1918 et 1926, à la suite de plusieurs années de guerres et de pourparlers, notamment avec la jeune Turquie de Mustafa Kemal, les Kurdes se voient dépossédé-es d’un territoire autonome.
Au bout du compte les populations kurdes se retrouvent divisées entre 4 États : la Turquie, la Syrie, l’Iran et l’Irak. Des États où les discriminations ethniques à l’égard des kurdes sont monnaie courante . Toutes les formes de révoltes y sont réprimées dans le sang.
Aujourd’hui des diasporas kurdes sont présent-es partout dans le monde. Pour beaucoup, le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation révolutionnaire armée, représente un horizon émancipateur. Son fondateur Abdullah Öcalan est détenu dans les geôles turques depuis plus de vingt ans.
En France, les militant-es de la cause kurde ne sont pas épargné-es par la répression. Un exemple parmi d’autres : en décembre 1993 le Conseil des Ministres dissout deux associations kurdes pour leur prétendu lien avec le PKK. S’en suit plus de 200 interpellations dans toute la France et une vingtaine de détentions provisoires. Huit ans plus tard, en 2001, c’est un non-lieu.

L’affaire des “Kurdes de Marseille”

Aujourd’hui, on s’intéresse aux cas de militants kurdes de Marseille. Arrêtés peu de temps après les inculpés du 8 décembre, ils sont condamnés par le Parquet national antiterroriste en avril dernier. Trois des six accusés sont actuellement en détention après avoir fait appel de leur premier jugement. “Cette affaire est présentée comme une affaire de réseau par le Parquet national antiterroriste” explique Romain Ruiz, un des avocats de la défense.
On leur reproche d’avoir racketté une partie des commerçants de la région pour leur faire payer un impôt révolutionnaire destiné à financer l’action du PKK” poursuit l’avocat. Des reproches judiciariser par trois chefs d’inculpations : financement du terrorisme, extorsion en lien avec une entreprise terroristeet association de malfaiteur terroriste.

Procès du PKK, procès du terrorisme de kurdes en France

Les enjeux de ce procès vont bien au-delà du sort des accusés. Ce qui est en jeu, c’est la qualification “terroriste” du PKK. Ce que conteste la défense. En effet, pour Romain Ruiz, le PKK doit être considéré comme un “groupe armée combattant” agissant dans un conflit non-international avec la Turquie. Ainsi ce serait le droit international et la convention de Genêve qui devraient s’appliquer à ces membres et non la “justice” anti-terroriste. Pour lui, il doit “considérer cette organisation comme un groupe armé au sens du Droit international humanitaire et absolument pas comme une organisation terroriste”. En 2020, la justice belge a désavoué la qualification terroriste du PKK en s’appuyant sur les même arguments. 

Répression judiciaire et administrative

Pour Raphael Kempf, également avocat de la défense, cette étiquette de terroriste a des effets très concrets. Politiquement d’abord, puisque “le fait de désigner une organisation comme terroriste vise à délégitimer totalement ses objectifs politiques qui sont l’autonomie du Kurdistan et le confédéralisme démocratique“.
Juridiquement “cela implique que les moyens de l’antiterrorisme français soient mis à disposition de la lutte contre l’opposition et le militantisme kurde en France. En somme : des gardes à vue prolongées, une juridiction d’exception, des détentions provisoires longues et difficiles… Mais également, pour les militants kurdes qui sont, comme mon client, réfugié-es politiques en France, un risque du retrait du statut de réfugié-e et donc à une expulsion vers la Turquie dans le cas d’une qualification terroriste.
Autre volet de la répression administrative : le gel des avoirs. Une pratique répressive prise conjointement par le  Ministère  de l’Intérieur et de l’Économie. Fidan Unlubayir, membre du Conseil démocratique kurde en France témoigne : “ça peut durer six mois, mais ceux-ci peuvent être prolongés. Il y a certaines personnes qui ont eu leurs avoirs gelés pour des périodes allant jusqu’à trois ans. A chaque fois qu’il y a un gel des avoirs, les banques prennent peur et ferment les comptes”. Pour elles, c’est avant tout “une manœuvre d’intimidation” pour “dissuader les gens de militer pour la cause kurde“.
On l’a compris, la tournure de ce procès peut être capitale : la cour d’appel doit trancher sur le caractère “terroriste” ou non du PKK. Un délibéré en faveur du non pourrait bien mettre à mal les stratégies répressives du Parquet national anti-terroriste (PNAT) qui n’hésite pas à utiliser cette affaire des ”Kurdes de Marseille” comme un élément à charge de plus dans le procès du 8 décembre. La cour rendra son délibéré le 24 janvier.

Écouter les autres épisodes :

Dans l’affaire du 8 décembre, la procédure anti-terroriste a permis d’aller très loin dans l’intrusion dans la vie des inculpé·es. Des procédures longues, et qui sont une punition en soi.
Les services de renseignement et le parquet national anti-terroriste ont en commun de fabriquer un récit pour le jour du procès. Un récit qui répond à des codes, des manières de présenter des personnages, avec des rebondissements, des gentils, et des méchants.

Épisode 3 : la répression internationaliste au Rojava ?

Partir défendre l’utopie concrète des kurdes du Rojava, c’est s’exposer à devenir une cible pour les services de renseignements. D’où leur vient leur défiance face à ces français partis combattre ?


Une enquête en cinq épisodes de Pierre-Louis Colin. Écriture et production : Pierre-Louis Colin et Violette Voldoire. Réalisation : Arthur Faraldi. Ambiance sonore : Arthur Faraldi et Victor Taranne

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