Dans un contexte de forte mobilisation contre la réforme des retraites depuis janvier dernier, la répression du gouvernement sur les militant·es, déjà bien en place depuis les Gilets jaunes, s’intensifie. Les interpellations en manif sont monnaie courante et les manifestant·es se retrouvent bien souvent en garde à vue dans des conditions difficiles, parfois même abusives. Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer pour différentes ONG et co-autrice du livre “Comment l’Etat s’attaque à nos libertés“, revient sur la pratique de la garde à vue comme outil politique du gouvernement pour contrôler les mouvements sociaux.
“La garde à vue, quand elle vise des militant·es, peut avoir un effet politique puisque ça décourage certaines mobilisations“, affirme Anne-Sophie Simpere. Longtemps chargée de plaidoyer pour Amnesty International, la co-autrice de “Comment l’Etat s’attaque à nos libertés” s’est occupée de nombreux cas d’arrestations de manifestant·es, notamment durant la période des Gilets jaunes.
Bien souvent, elle a pu constater qu’il n’y a pas d’infraction avérée de la part des interpelé·es. Le but de la GAV est tout autre : empêcher les manifestant·es de se rendre en manifestation, ou bien les dissuader d’y retourner. Pour justifier cette pratique d’interpellations à outrance, tous les moyens sont bons. Délits invoqués flous, ou basés sur “l’intention de nuire” sans qu’aucune action n’ait eu lieu. La dissimulation du visage, dans un contexte où les masques sanitaires étaient encore obligatoires, a également fait partie de l’éventail des faits délictuels justifiant certaines gardes à vues.
Les “jeunes de banlieue” et les militant·es cible prioritaire de la garde à vue
Les chefs d’inculpation peuvent aussi être fixés pendant, voire après la garde à vue, ce qui interroge Anne-Sophie Simpere. “Alors même que la personne n’a rien fait, elle va être interpelée, et parce qu’elle aura refusé par exemple que son ADN soit prélevé, le délit sera constitué et elle aura un procès pour ça, ou un rappel à la loi”. La chargée de plaidoyer rajoute que les motifs invoqués sont souvent “des délits qui n’impliquent que la parole de la police”.
Les lois sollicitées pour placer la personne en garde à vue cachent donc d’autres intentions. La première : viser un ennemi. Dans son livre, Anne-Sophie note que sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il s’est agit principalement de cibler les jeunes de banlieue, puis cela a continué avec les travailleur·euses du sexe, les migrant·es, etc.
Viennent ensuite les Gilets Jaunes, qui ont représenté une contestation majeure du pouvoir. Puis les jeunes, ciblé·es lors d’occupations où de blocages de facs et de lycées, mais aussi les actions de désobéissance civile à visée écologique… Les gardes à vue permettent également de ficher les militant·es, de chercher à connaître la couleur politique des personnes arrêtées, etc.
Des conditions traumatisantes pour les gardé·es à vue
Si Anne-Sophie Simpere admet qu’il y a “beaucoup plus de violences en garde à vue contre des gardé·es à vue de petite délinquance dans des quartiers populaires, que contre des manifestant·es“, ces cas existent. Les témoignages des étudiant·es du campus Condorcet à Aubervilliers ont dénoncé des actes de torture.
Face à ces cas extrêmes, l’expérience en soi de la garde à vue est déjà violente : “on est entassé·es à plusieurs dans une cellule, qui est généralement assez crade. On ne sait pas combien de temps on va rester, on est privé·e d’eau, de toilettes, de téléphone… On ne sait pas si l’avocat·e va être prévnu·e…” énumère Anne-Sophie Simpere. Tout est fait pour que les gardé·es à vue ressortent du commissariat épouvanté·es.
Sur le même thème : Prise d’empreinte sous contrainte en garde à vue : la loi qui inquiète les militant·es
Une difficile reconnaissance des violences en GAV
Anne-Sophie Simpere pointe la difficulté de porter plainte si un·e ou plusieurs policier·es font un usage illégal de la force ou ne respectent pas la loi lors d’une GAV. Au-delà du fait que la plainte déposée contre l’agent·e en question peut se retourner contre la victime, accusée alors “d’outrage” ou de “rébellion”, “il y a toute une série d’obstacles et de dysfonctionnements qui font que c’est très difficile d’obtenir la condamnation d’un·e policier·e“.
Parmi ces obstacles, le ministère de l’Intérieur et les procureurs qui travaillent main dans la main avec la police. Pourtant, elle précise qu’il y a eu de nombreux rappels de la part de la Cour européenne des droits de l’homme ou de certaines ONG concernant la pratique parfois douteuse de la garde à vue française.
Les amendes en manif : une nouvelle menace
Une autre menace répressive pèse sur les manifestant·es : les contraventions pendant les manifestations. Syndicaliste CGT, au militant·e écolo en action, manifestant·e autonome, tout le monde y passe d’après Anne-Sophie Simpere. Les motifs invoqués sont les mêmes que ceux pour les interpellations, mais cette fois-ci, il est “simplement” demandé 135€ d’amende. “Moins traumatisant qu’une garde à vue, mais plus lourd pour le porte-monnaie” souligne la chargée de plaidoyer qui reconnaît là une stratégie à “garder à l’oeil”. Une bonne tactique pour pénaliser les manifestant·es, dans un contexte d’inflation toujours plus galopante, qui peuvent légitimement se dire qu’iels ne peuvent pas se permettre de retourner toutes les semaines en manif.
Une interview de Nina Nowak.
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