Le 24 janvier 2022, une nouvelle loi « relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure » inclue la possibilité pour les policier·es de saisir « sous la contrainte » vos empreintes et photos en cas de refus, pour justifier votre identité. Une pratique qui se systématise en Île-de-France, mettant à mal les stratégies de défense militante contre le fichage généralisé.

« Tu veux qu’il y ait plus de monde ? Tu veux qu’on appelle l’équipe ou pas ? » Ces mots résonnent encore dans la tête de Stephan. « C’est un coup de pression assez efficace » nous confie-t-il autour d’un café. Arrêté dans le cadre d’une ouverture de squat, il s’est vu contraint par la force à donner ses empreintes et son ADN en garde à vue. Une pratique jusqu’alors interdite aux agents de police. Aujourd’hui permise par l’article 30 de la loi de janvier 2022 « relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure » modifiant l’article 55-1 du code de procédure pénale, et adoubée par le Conseil constitutionnel le mois dernier.

Un peu plus d’un an après l’adoption de la loi, la pratique s’est généralisée en Île-de-France. C’est ce que constate l’avocate Hanna Rajbenbach « Ça arrivait assez peu au moment de l’entrée en vigueur de la loi, ça a commencé à arriver de manière beaucoup plus fréquente depuis quelques mois ». Si la pratique n’a que marginalement dépassé les frontières de la région parisienne, il n’est pas exclu qu’elle devienne la norme nationalement. « Même à Paris et en région parisienne c’est arrivé un peu d’un coup, c’est ce qui peut se passer ailleurs » complète l’avocate.

La procédure requiert néanmoins quelques conditions préalables, qui doivent être justifiées par un officier de police judiciaire (OPJ) au procureur de la république, seul personne pouvant donner l’aval aux agents de police de recourir à la force. Outre les détails procéduraux, deux conditions doivent être réunies : être potentiellement condamnable à une peine de plus de trois ans d’emprisonnement et que la prise de signalétiques soit le seul moyen de vous identifier.

La théorie et la pratique

Seulement, « ça c’est sur le papier » notifie Alexis Baudelin, avocat au barreau de Paris depuis 2016. « Quand bien même la personne était identifiable […] parce que la personne ne voulait pas donner ses empreintes digitales, ne voulait pas être soumise à la photographie, on a des cas où la police a quand même forcé la personne, l’a contrainte à donner ses empreintes, hors de tout cadre légal ».

Une dérive que soulève également Hanna Rajbenbach : « Malgré cette présence du passeport, malgré le fait que des personnes donnent leur véritable identité dès le début de la garde à vue, sans qu’il n’y ait de modification d’identité au cours de la garde à vue, cette prise d’empreintes de force a lieu ».

Maeva, arrêtée dans le cadre d’un blocus lycéen l’année dernière, en témoigne également : « Je savais ce truc de prise d’empreintes forcée donc je donne ma vraie identité à l’OPJ, j’ai le permis donc j’étais parfaitement identifiable et au bout de quelques heures, iels arrivent à six dans ma cellule avec la réquisition du procureur ».

Un autre des encarts à la loi des forces de l’ordre pour recourir à la prise de signalétiques : le changement du chef d’inculpation en garde à vue. « Une autre violation, c’est la modification du quantum encouru lors de la garde à vue » explique Hanna Rajbenbach, « on a eu des cas où des personnes étaient placées en garde à vue pour des infractions pour lesquelles elles encouraient moins de trois ans de prison, qui se sont vu prendre de force leurs empreintes digitales ».

Stephan s’est vu saisir son ADN dans la foulée quand bien même la prise d’ADN relève d’une toute autre procédure. Hanna Rajbenbach l’appuie : « Lorsqu’il y a des prises de signalisation de force, les personnes qui subissent cette mesure se voient aussi parfois passer un coton-tige dans la bouge et donc prélever de force leur ADN […] hors cadre judiciaire ».

Légitime violence et impunité

Cette loi de janvier 2022 ouvre le champ à des pratiques qui n’existaient que marginalement en garde à vue. L’avocate s’en inquiète : « On a vraiment un article du code de procédure pénale qui vient autoriser, dans le courant de la garde à vue, des policiers à utiliser la violence ». Une modification qui fait l’effet d’un appel d’air aux violences policières. « Évidemment qu’iels en profitent pour taser, pour écraser des têtes, etc » déplore-t-elle.

Une pression de plus qui ne peut pas être prise en compte pas les militant-es : « Vu qu’iels arrivent à six dans ma cellule, je les suis parce que j’ai lu trop de témoignages de gens qui se font défoncer » témoigne Maeva. Quand bien même la procédure est irrégulière, une fois la réquisition du procureur en main, le champ libre est laissé aux forces de l’ordre. Pour Alexis Baudelin, « ça n’a pas d’importance aux yeux des flics, si la procédure est irrégulière elle sera annulée devant un juge et ça n’a aucune conséquence pour les flics qui auraient forcé cette prise d’empreintes ».

La politique du parquet

« Si le parquet et la police se permettent ça, c’est parce qu’iels n’ont de compte à rendre à quiconque sur ce qu’iels font » ajoute Alexis Baudelin. Pour lui, « il y a cette position du parquet qui est de dire que les personnes qui refusent de collaborer avec la police, ce sont des personnes qu’il faut mater particulièrement, qu’il faut dissuader le plus vite possible de continuer dans cette voie-là. Derrière ça il y a une politique autoritaire qui est menée, consciemment ou non ».

Contacté par nos soins, le parquet de Paris n’a pas souhaité « polémiquer par voie de presse avec des avocats » et donc répondre à nos questions. Il a néanmoins précisé que sa seule ligne de conduite était l’article 55-1 et a même ajouté que des papiers ne justifiaient pas nécessairement de l’identité d’une personne – celle-ci pouvant être fausse et les papiers falsifiés.

Les jeux sont-ils fait ?

La récente loi fragilise les stratégies de défense et de défense collective en garde à vue face au fichage policier. Néanmoins, le recours à la prise de signalétiques de force n’est pas encore systématique et toutes les gardes à vue ne se déroulent pas de la même manière : « Ça reste au bon vouloir du procureur et du commissariat, il y a aussi des camarades à qui on a demandé de prendre leurs empreintes de force et qui ont juste fermé leurs poings et c’est passé » déplie Maeva. La militante fait partie d’un collectif organisant des formations juridiques sur la garde vue. Pour elle et ses camarades, la position à adopter en garde vue ne change pas nécessairement : « On conseille toujours de refuser quand les policier·es viennent nous demander nos empreintes et photos parce que, dans certains cas, ça passe encore. Il y a encore un petit espoir qu’on ne se fasse pas ficher ».


Pour aller plus loin : quelques trucs et astuces publiés par le Réseau d’auto-défense juridiques collectives, une brochure sur les comportements à adopter en GAV et un article de la Quadrature du net sur l’histoire du fichage en France.


Une enquête de Pierre-Louis Colin.

 

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