Le CRS qui a éborgné Laurent Théron le 15 septembre 2016 est définitivement acquitté. Lors d’un procès d’Assises de trois jours, Alexandre Mathieu a tout tenté pour démontrer qu’il n’avait pas fait exprès, et que son acte relevait de la légitime défense. Le tribunal lui a donné raison, malgré des faits accablants. 

L’ancien brigadier-chef ouvre le bal avec des excuses. « Je suis profondément navré, et je vous demande pardon. » Cet homme en costume gris qui demande pardon à un autre, c’est Alexandre Mathieu. L’autre, ancien syndicaliste, ne le regarde pas.

Le geste de l’ancien CRS a coûté son oeil à Laurent Théron

Laurent Théron a perdu son œil droit à cause de la grenade de désencerclement qu’Alexandre Mathieu a jetée dans une foule, le 15 septembre 2016. « Vous m’avez demandé de vous pardonner, » dira Laurent Théron au deuxième jour d’audience. « J’ai envie de le faire, mais pas pour vous, pour moi, pour me reconstruire face à ce poison. J’aime trop la liberté pour vous souhaiter la prison. » 

Il est sûr que l’ancien CRS, mais toujours policier, dont le geste lui a coûté son œil sera condamné. Personne n’en doute, d’ailleurs. Ni la trentaine de policiers statufiés sur les bancs de la salle, ni les soutiens de Laurent Théron qui s’indignent face au discours pointant chaque manifestant·e comme un·e ennemi.e, surtout si « l’individu » a une capuche. Comme tout le monde se trompe. 

En septembre 2016, la violence policière déjà élevée

Le coup de théâtre au dernier jour fait mentir des faits pourtant implacables. Le 15 septembre 2016, Alexandre Mathieu est en service dans la CRS07 et assure le maintien de l’ordre d’une nouvelle manifestation contre la loi El Khomri. Le mouvement contre la loi Travail s’est durci. Les manifestations se sont transformées au printemps en « cagifestations ». Défiler entre des barrières anti-émeute, être nassé·es, gazé·es, frappé·es est devenu un lot commun. Plusieurs personnes sont déjà gravement blessées, dont un étudiant rennais qui perd son œil en avril.

Après l’été, les manifestations reprennent. Le 15 septembre, les charges se multiplient, et place de la République, il y a une sale ambiance. Radio Parleur y tient d’ailleurs sa toute première émission, et l’équipe plie le studio en catastrophe face au déluge de gaz lacrymogènes. Puis tout retombe, et la fin d’après-midi annonce une fin de manif plus calme. Laurent Théron s’avance vers la fontaine centrale pour se rincer le visage. 

Le CRS qui ne savait pas utiliser les grenades de désencerclement

En arrière, à près de 15 mètres, le peloton d’Alexandre Mathieu s’est ravitaillé en grenades de désencerclement. Lui aussi. Pourtant, ce fonctionnaire n’a pas d’habilitation, ni reçu de formation au maniement de ces grenades. Il s’en fourre pourtant une dans la poche. Léon R., commandant de cette CRS 07, conclue ainsi son témoignage au deuxième jour d’audience : « Il n’aurait pas dû en avoir une. ». 

Pourtant, Alexandre Mathieu en a une. À 16h53, il la jette. Non en direction du skate park, droit devant lui, qu’il prétend viser. Il lance en cloche, sur la gauche, dans un groupe de gens qui discutent autour de la fontaine. Une second et demi plus tard, la grenade éclate au sol et projette ses 18 plots en caoutchouc à 131 m/s. Laurent Théron est touché au visage. Son œil est déjà perdu, mais il ne le sait pas. 


À écouter : Le témoignage puissant de Laurent Théron, dans le documentaire “Marquer les chairs et les esprits”


La rhétorique de la légitime défense

Il faudra près de 50 minutes aux secours pour arriver. De très longues minutes. Curieux, alors que l’appel d’urgence à la préfecture est passé à peine trois minutes après l’explosion. La suite des audiences des différents policiers révèle des pertes de mémoire et des approximations usantes. Alexandre Mathieu n’a pas fait le lien entre le blessé à l’oeil et sa grenade de désencerclement. Le commissaire Alexis Marsan ne se souvient plus pourquoi il a écrit dans son PV que la victime aurait « refusé les soins médicaux », ce qui est manifestement faux. 

En revanche, tous les témoignages policiers s’accordent à dire qu’il y avait ce jour-là des “assaillants” et des “assaillis”. Les policiers pris à partie dans des jets de projectiles, dont deux cocktails molotov qui enflamment des agents, sont montrés à l’envi par Mᵉ Laurent-Franck Liénard. Un habitué des prétoires, toujours du côté de l’uniforme. Il y a donc des individus à capuche qui caillassent la police. Ce n’est pas le cas de Laurent Théron, qui n’est pas un habitué des manifestations. Le rapport avec la légitime défense semble donc assez incertain.

Au troisième jour d’audience, tout bascule

Comment un policier qui tire une arme de guerre dans un groupe ou rien ne se passe, sans habilitation, sans ordre direct, sans être encerclé, et qui mutile définitivement un homme dont le seul crime est d’être là, se retrouve acquitté ? Lorsque le verdict tombe, la salle est abasourdie. La rage monte. La France joue l’un de ses matchs de coupe du monde. Ceux qui aiment ça pensent sortir fêter ça.

Pourtant, peu après 20h, la salle s’embrase. « C’est la honte ! Il va recommencer ! » Laurent Théron accuse le coup. Il est partie civile, et ne peut pas faire appel. Alors, comment ? À toutes les questions posées aux juré·es, celleux-ci ont répondu oui : Alexandre Mathieu est coupable d’avoir lancé cette grenade, d’avoir éborgné Laurent Théron, et d’avoir commis ces faits dans le cadre de ses fonctions. Mais le jury a considéré qu’il était en état de légitime défense.

Personne, pas même l’avocat général, n’avait osé parler de légitime défense. Il avait même plaidé la violence volontaire, et requis deux à trois ans de prison avec sursis. Il aura suffi pour Alexandre Mathieu de dire qu’il avait entendu une bouteille se briser derrière lui. Il a eu peur. Il a lâché sa grenade. Peu importe qui l’a reçue. Autour de lui, le jury a considéré que tout était menace. 

« C’est à vous de rendre justice, » avait plaidé Lucie Simon, l’avocate de Laurent Théron. « La justice, cette notion démocratique au nom du peuple français, vous pouvez la rendre à mon client car il a vécu a quelque chose d’injuste, sans cause justificative. Vous pouvez lui rendre justice. » Dans le froid de décembre, c’est avec une nouvelle rage que Laurent Théron sort du tribunal de l’île de la Cité. Autour, les vivas des supporters de foot. Et la justice ne semble nulle part.