Klou est travailleuse du sexe, autrice et dessinatrice. Elle vient de publier son premier roman graphique, Bagarre érotique, récits d’une travailleuse du sexe aux éditions Anne Carrière. De son parcours et de sa vision du métier, elle parle avec des mots crus, touchants et surtout, politiques.


Souvent considéré comme « le plus vieux métier du monde », le travail du sexe (TDS) est encore un tabou. À son sujet, les lignes de fracture idéologiques, politiques et sociales traversent tous les milieux. Car la prostitution concerne toutes les classes sociales, il est bon de le rappeler. Pourtant, dans ces débats, une parole manque souvent, celle des premières personnes concernées : les travailleuses (largement majoritaires) et travailleurs du sexe. C’est pour se réapproprier cette parole que Klou, dessinatrice et travailleuse du sexe depuis plusieurs années, a décidé de coucher son histoire sur le papier. Son récit pose sans ambages, en aplats noirs et blancs, le récit paradoxal de la prostitution qui libère d’un patriarcat destructeur.

Bagarre érotique de Klou. Alizée Chebboub-Courtin

À 24 ans, elle raconte avec des mots crus et beaucoup d’humour ses premières passes, et revient sur l’évolution de sa conception de la prostitution. « Il faut partir du principe selon lequel la majorité de ce qu’on croit savoir sur le travail du sexe est faux. C’est cela que j’ai voulu déconstruire », explique Klou. 

« Ce qui dérange, c’est sûrement le fait que je sois une femme heureuse d’être mon propre patron »

Partie en Belgique pour poursuivre ses études d’art, elle perd ses bourses. Elle trouve dans la prostitution une manière de subvenir à ses besoins. « Dans une société capitaliste, on doit travailler pour gagner de l’argent et en ce sens, c’est une obligation. » Un paradoxe aussi, car le TDS lui rapporte vite suffisamment pour lui libérer un temps conséquent, normalement pris dans les rouages du salariat. « Cela me permet aussi de bien gagner ma vie, et d’être plus libre que de nombreuse·x travailleuse·eurs. Même si j’ai beaucoup de choses à dire aussi sur le rapport au patronat. »


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« Ce travail, c’est moi qui l’ai choisi, personne ne m’a forcée », contrairement aux personnes victimes de la traite des êtres humains. « Les personnes qui sont forcées ne sont pas travailleurs et travailleuses du sexe, elles sont prises dans un parcours de traite. Ce que ces personnes subissent, c’est du viol. » Pour elle, il y a un raccourci très politique et très problématique à considérer les deux activités sur le même plan. Un raccourci qui enferme, et bloque la parole des personnes qui ont pu choisir le travail du sexe volontairement. « Là où on rejoint les abolitionnistes, c’est qu’il faut lutter contre la traite. Là ou on se sépare, c’est quand elles disent “vous aussi, vous subissez des viols”. Elles et ils refusent d’entendre notre vérité. »

Exister dans le regard masculin

Des carcans ressentis dans l’enfance, alors qu’elle était souvent considérée comme n’étant pas assez « fille », Klou garde un souvenir pénible. Longtemps, pour exister, elle se soumet à l’équation « manque de confiance en soi + patriarcat = besoin de la validation du regard masculin ». La prostitution lui permet de se libérer de cette pression extérieure, et d’une vision très genrée des individus. C’est ce qui la rend farouchement opposée à l’interdiction de la pratique.

Extrait de Bagarre érotique de Klou. Crédit : Alizée Chebboub-Courtin pour Radio Parleur

Pour l’autrice, au contraire, sa dépénalisation permettrait aux TDS d’obtenir de meilleures conditions de travail, tout en luttant contre la traite des personnes forcées de se prostituer. Ainsi, le travail du sexe reposerait sur une logique d’exploitation moins brutale. Même si Klou reconnaît que son activité repose fondamentalement sur le capitalisme, tout en l’ébranlant d’une certaine manière. Pour nous permettre d’y voir plus clair, elle met son expérience intime au service de ses réflexions politiques. Celles d’une militante féministe pro-sexe et LGBTQIA+, mais aussi d’une travailleuse.

Un entretien d’Alizée Chebboub-Courtin pour Radio Parleur. Identité sonore : Etienne Gratianette (musique/création). Photo de Une : Anouk Durocher.