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L’exploitation facile des forçats du travail à la demande

On pourrait faire le tour du monde d’un simple clic. Armé·es de nos pouces, et de nos téléphones, avachi·es au fond d’assises sans charme. Deux clics, une commande, et le burger tant désiré fait chavirer nos sens. Simple. Mais cette facilité se paie au prix fort. Mis à distance par un marketing soigné, les corps restent soumis aux lubies coloniales d’une poignée de plateformes capitalistes. Travail à la demande, disponible sur Arte tente de recoller les morceaux de ce récit.

En glissant son doigt sur l’écran, un signe guette. Un bruit, plutôt. Celui du creux de l’estomac. Telle la grotte qui fait écho aux sonorités de nos voix, il quémande. C’est l’heure ! Il est tard, on a couru en tous sens toute la journée. La nécessité de combler le vide se fait pressante. Rien ne semble vraiment désirable dans les placards et les étagères du réfrigérateur.

Mais la vitrine du téléphone que l’on tient entre nos mains laisse entrevoir les possibilités alléchantes de combler l’envie irrépressible. Manger une image fabuleuse. Le pouce fait défiler les offres de repas. Sushi, burger, pad thai, dahl, salade de boulgour. Le monde à la portée de ceux et celles qui veulent bien a le sélectionner. Mieux qu’un aller-retour Paris-Bangkok, que les souvenirs d’un week-end a Séville, l’expérience est immédiate. Un entassement de richesse culinaire dans une vitrine virtuelle. C’est Black Friday everyday. Ça salive, fort. Pourvu que la livraison soit rapide ! On se rassure. La rapidité, c’est la promesse des plateformes. Celle qui font venir un type avec un grand sac isotherme jusque chez nous, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit.

Ça sonne. Cinquième étage. L’interphone raccroché, le repas arrive. Le type monte. Regard dans l’œil de bœuf. Il est là. Un scaphandre de moto en guise de couvre-chef sur un corps détrempé. Drôle de protection pour accompagner un vélo. Tiens, c’est une femme ! Merci. La porte se ferme. L’estomac s’ouvre. On n’y pense plus. On est déjà en Italie.

Livreurs aux milles couleurs

Une livreuse, pas banal… Aussi surprenant que d’entendre les plaintes des chauffeurs de berlines noires, au détour d’une séquence de ce documentaire qui suit leurs aventures aux quatre coins de l’Europe. Parfois, ils peuvent avoir des liasses de billets entre les mains le matin. Et être fauchés le soir. Les algorithmes du travail à la demande ne sont pas des amis très fiables, et vous font vite travailler à perte. Comme ça. D’un clic.


Sur le même thème : notre reportage, “Peut-on vraiment dialoguer avec Uber, Deliveroo et consort ?”


Dans ce nouveau monde, les chauffeurs VTC représentent une certaine réussite. Les livreurs a vélo, eux, semblent jouent au polo dans nos rues. Chacun son équipe, chacun sa couleur. Les rues sont noires, turquoises, oranges. C’est un supermarché en mouvement. En Chine, les échauffements collectifs des cyclistes à sac de livraison se font dans la rue, au vu et au su des passant·es qui les prennent en photo pour leurs réseaux sociaux. Dans un an, la casaque orange cédera peut-être sa place au fuchsia, comme un cheval de course en fin de carrière. Finira-t-il a l’abattoir ? Ou n’est-ce que la lointaine conséquence des confinements successifs ?

Dehors, il pleut. Quel temps de merde !

Ah ! Un code promo. Tiens, il faut noter le livreur, d’ailleurs. La livreuse, pardon ! Elle a pas beaucoup parlé mais la bouffe était encore tiède, donc ça va. 5 étoiles, comme dans GTA quand t’es poursuivi par les flics. Ça lui fera plaisir. Pas besoin d’échanger avec elle pour juger la qualité du service, tout est question de temps de parcours. Elle a l’air de bien connaître la ville au vu de la distance parcourue. On pense aux ruelles sans lumière ou elle risque sa vie, comme Mourad, un cycliste aux membres brisés par une livraison.

Quel choc, quand même. Depuis quand des femmes font ce métier ? C’est incroyable. Faudra le dire aux potes ce soir. Une livreuse cet après-midi, une chauffeuse ce soir ? C’est marrant… ou pas. Il y en a d’autres, des gens comme elle ? Plein, partout, tout le temps. Sur des vélos, des scooters, derrière des écrans. Iels sont là, dans Travail à la demande, racontant dans toutes les langues le nouveau régime des manouvriers du 21ème siècle.

Bref, passons ! Il faut commander le bouquet, pour ce soir. Clic, clic. 

Un article de Nabil Izdar. Photo de Une : Nabil Izdar

 

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