Dans sa nouvelle bande dessinée, Éveils, Juliette Mancini décrit avec une impressionnante justesse son expérience de jeune femme dans la France de 2021. L’œuvre aborde la féminité, le corps et les injonctions qui pèsent sur lui, et le développement de soi. Un témoignage précieux aux couleurs pastel qui peut déclencher d’importantes prises de conscience.

Comme elle le raconte, l’idée d’Éveils a germé chez Juliette Mancini lors d’un atelier animé dans une école primaire. « On a commencé à aborder des sujets sociaux et politiques. J’étais étonnée de voir que les élèves comprenaient déjà beaucoup de choses, et amusée de voir la vision fantaisiste qu’ils avaient d’autres sujets ». L’occasion pour elle de se replonger dans ses souvenirs d’enfance. Plus particulièrement dans l’importance grandissante qu’a pris sa féminité : Éveils est né.

« Tu te croyais individu, mais tu apprenais que tu étais une fille. »

Couleurs pastel, dessin déstructuré : il émane dès les premières pages de l’ouvrage une réelle poésie. Celle-ci adoucit et accompagne avec émotion les sujets parfois complexes abordés dans cette autobiographie d’une jeune femme du XXIe siècle. Au fil des pages, on découvre son enfance, marquée par les fantômes des ancêtres et un grand-père soldat pendant la guerre d’Algérie. Puis vient l’adolescence, le temps des corps qui changent, tant physiquement que dans le regard des autres. À cette époque naissent de nouvelles injonctions et de nouveaux paradoxes. Comment se faire siffler dans la rue peut-il être à la fois satisfaisant et dégradant ? Comment ce simple geste peut-il être, en même temps, une validation sociale et une assignation à la femme-objet ?

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Page d’Eveils. Crédit : Éditions Atrabile

Regard pertinent d’une jeune femme sur sa vie

L’autrice fait le choix de livrer des passages de son enfance et de son adolescence, marqués par l’actualité, par la découverte de son corps et des clichés sexistes. Elle emploie avec pertinence la deuxième personne. Ce « tu » renvoie à l’universel, éloigne le sujet de l’autrice et tout en s’adressant alternativement aux lecteurs et à elle-même. En effet, les injonctions paradoxales liées à la féminité ont tendance à engendrer de dissociation. Le personnage est déconnecté d’elle et ne retrouve son « je » que lors d’épisodes de rêve.


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Dénoncer la banalité d’injonctions quotidiennes

Par la justesse de son témoignage et de ses analyses, Juliette Mancini s’adresse autant aux femmes qu’aux hommes. Aux premières, elle rappelle qu’elles ne sont pas seules dans ces expériences de honte, de déchirements entre aliénation patriarcale et envie d’exister en tant qu’individu.

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Page d’Eveil. Crédit : Éditions Atrabile

Aux hommes, elle permet de partager, ne serait-ce que pendant le temps d’une lecture, un aperçu de ce qu’est l’expérience féminine. « Je voulais partager une expérience féminine, avec toute la banalité de la pression sociale du quotidien », explique Juliette Mancini. « J’ai eu beaucoup de retours, notamment de femmes qui me remerciaient d’avoir su poser des mots et des images sur des réalités qu’elles vivaient sans réussir à les exprimer » conclue-t-elle.

Éveils de Juliette Mancini (éditions Atrabile) est disponible depuis le 19 février 2021.