Le projet de loi renforçant les mesures antiterroristes et le renseignement est actuellement en plein parcours parlementaire. «Indispensable » selon le gouvernement, il inscrirait dans le droit commun certaines mesures issues de l’état d’urgence. Il fait également planer une menace concrète sur nos libertés numériques. Pour Martin Drago et Noémie Levain, membres de la Quadrature du Net, c’est « une pérennisation de la surveillance de masse ».

Le juriste Martin Drago et l’avocate Noémie Levain militent à la Quadrature du Net. Bien connue des auditeurs et auditrices de Radio Parleur, l’association défend les « libertés fondamentales dans l’environnement numérique ». Une mission qui l’a vu s’opposer depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron à toute une série de loi renforçant le contrôle des citoyen‧nes. En point d’orgue, la loi sécurité globale adoptée au mois d’avril.


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Depuis le début du mois de juillet, c’est au tour du projet de loi renseignement d’inquiéter, à son tour, les association de défense des libertés individuelles. Le texte poursuit actuellement son parcours parlementaire après son adoption au Sénat et à l’Assemblée nationale en première lecture à la fin du mois de juin. Portée par Gérald Darmanin, elle propose de renforcer durablement des mesures de surveillance prises pendant l’état d’urgence en 2015 et en 2017.

Vers une surveillance plus large, et plus automatisée

Ce texte inscrit dans le droit commun certaines mesures issues de l’état d’urgence. Il permettra par exemple la fermeture des lieux de culte suspects de faire l’apologie ue terrorisme, le suivi étendu des détenu·es condamné·es pour terrorisme ou encore des autorisations de visites domiciliaires sans mandat d’un juge. Mais ce qui inquiète particulièrement nos invité‧es, c’est l’extension significative du recueil des informations numériques. Dans une tribune publiée par le quotidien Le Monde, les juristes Martin Drago et Arthur Messaud dénonce l’utilisation d’algorithmes pour surveiller les activités virtuelles des français‧ses. « Là où la surveillance humaine ne permettait que des analyses ciblées, le recours à cette technologie rend possible la surveillance de l’ensemble du réseau », c’est-à-dire toute la population.

manifestation loi sécurité globale
Manifestation contre la loi sécurité globale le le 11 novembre 2020 à Paris Photographie : Sylvain Lefeuvre pour Radio Parleur.

En effet, le texte étend les expérimentations de surveillance « par algorithme » instaurées en 2015. Au lieu de surveiller une personne suspecte de terrorisme en particulier, ces « boîtes noires » traitent l’ensemble des données reçues pour détecter des potentielles menaces.  « L’État considère que tout le monde mérite la surveillance, on est toutes suspect‧es par défaut », s’inquiète Noémie Levain. Les opérateurs sont déjà contraints de transmettre les données de connexion téléphoniques, mais c’est désormais le contenu qui sera communiqué. Les adresses des sites internet consultés par les utilisateur‧ices seront par exemple collectées. Pour Martin Drago et Noémie Levain, on peut donc parler de « pérennisation de la surveillance de masse ».

Un risque de surveillance des militant‧es politiques ?

Surtout, la Quadrature du Net s’interroge  : « qu’est ce que c’est d’être suspect‧es ? ». La  loi reste très opaque à ce sujet. « On n’a aucune information sur comment ces algorithmes marchent. L’État nous demande juste de lui faire confiance (…) Les services de renseignements peuvent un peu mettre ce qu’ils veulent dedans : cela peut ouvrir la porte à beaucoup d’abus ». Noémie Levain ajoute : « ces données ont déjà permis de surveiller des migrant‧es, militant‧es…On utilise la peur du terrorisme islamique pour donner de grands pouvoirs de surveillance à l’État. Qui peut ensuite s’en servir pour surveiller des opposant‧es politiques ! ». Au vu du manque de communication sur ces expérimentations, « on n’a aucune idée si ces mesures de surveillances sont réellement efficaces pour sauver des vies ».

Un entretien réalisé par Esther Laudet. Illustration de une : Electronic Frontier Foundation sous licence Creative Commons.