Dans Triso Tornado, Violette Bernad raconte la naissance d’un enfant trisomique dans une famille qui ne l’attendait pas. Entre doutes, culpabilité et tendresse, elle raconte un combat quotidien pour que son fils puisse s’épanouir dans une société qui le juge « inapte ». Une belle histoire, illustrée par Camille Royer et publiée chez Futuropolis.

C’est le début de ce beau roman graphique salué par la critique. Lorsque son deuxième petit garçon, nommé Nils dans la BD -Swann dans la vraie vie- naît, les médecins ne cessent de questionner Violette Bernad sur les résultats de son tri-test. Cet examen, effectué pendant la grossesse, permet de détecter des probabilités de trisomie chez l’enfant à naître. En fonction du résultat, les soignant·es estiment s’il est utile de faire des analyses approfondies pour établir le diagnostic de trisomie. Dans la cas de Nils, les médecins apparaissent mal à l’aise : « on trouve qu’il a un visage lunaire » répètent-ils. Mais on ne explique rien de plus aux parents, jusqu’au choc de l’annonce. Nils est atteint de trisomie 21.

« Mettre au monde un enfant handicapé dans notre société, c’est vraiment aller à contre-courant »

Si le test n’est pas obligatoire, les médecins ont l’obligation de le proposer. De fait, la profession incite fortement à le pratique. L’objectif : proposer l’interruption volontaire de grossesse (IVG) le plus rapidement possible si c’est le choix des parents. « Il y a une politique de santé bizarre en France par rapport à la trisomie : la détection de la trisomie est faite pendant la grossesse, et il y a une espèce d’accord tacite autour de l’avortement. […] À chaque fois que j’annonçais la trisomie, on me ramenait a ce choix, et a ce ”loupé de la détection”. Comme si l’avortement avait été l’évidence. »

De fait, 94% des parents qui apprennent la trisomie de l’enfant choisissent l’IVG. Celle-ci peut être légalement pratiquée jusqu’au terme, quelle que soit le type de trisomie. La maman de Nils s’indigne. Bien que féministe et pro-avortement revendiquée, elle ne comprend pas que ce soit la seule solution envisagée. Son propos est cependant sans jugement : elle reconnaît parfaitement la difficulté d’élever un enfant trisomique, entre problèmes de santé, d’autonomie et même sociaux. « Mais on ne se pose pas la question de la société qu’on veut construire ensemble et de la place qu’il faut accorder aux plus vulnérables. Et ça je trouve ça assez terrible. »


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La trisomie est provoquée par la présence de trois chromosomes 21 au lieu de deux, provoquant un faciès marqué, un physique caractéristique et des déficiences intellectuelles variables. Pour Violette Bernad, la nouvelle entraîne une violente remise en question en tant que parent. Elle se confronte aux clichés des autres autant qu’aux siens sur la différence. Elle croit d’abord que son fils est mourant, ou que sa vie se résumera aux hôpitaux. Son médecin lui fait la liste  des malformations terribles que pourrait avoir l’enfant, sans tenir compte de l’examen clinique. Celui-ci montre en réalité l’enfant plutôt bien portant.

Triso Tornado Bernad trisomie
Violette Bernad, autrice de Triso Tornado. Crédit : Futuropolis

« Avant d’accuser la société et ses manquements, je suis allée interroger ce qui n’allait pas chez moi. Je voyais bien que la douleur que j’éprouvais à avoir mis cet enfant au monde était démesurée à cause de mon ignorance. On se fait tout un tas d’idées sur la différence. ». Dans Triso Tornado, elle expose sans fard le rejet qu’elle éprouve d’abord pour cet enfant, dont la trisomie lui apparaît comme une antithèse de la finesse : des corps ronds, des obsédés sexuels, des attardés mentaux. Des préjugés qui s’écroulent après la naissance de Nils « Maintenant que je suis maman d’un petit garçon qui a une trisomie 21, je vois bien où est sa richesse, ce qu’il apporte au monde. »

« Faire le deuil de l’enfant que vous avez rêvé avant sa naissance. »

« La naissance d’un enfant, quel qu’il soit, c’est avant tout une rencontre. L’enfant qu’on a rêvé disparaît et un inconnu arrive. Et l’inconnu est d’autant plus fort quand on vous annonce un handicap. C’est comme si on lui mettait un masque. La trisomie 21, c’était un masque entre mon fils et moi, qui gênait ma rencontre.»

Dans Triso Tornado, on vit la découverte du handicap, des craintes qu’il suppose mais aussi tout l’humour et la joie qui en découle. De fait, si la trisomie marque le faciès de l’enfant, il est bien issu d’une lignée et hérite aussi de traits familiaux. Aujourd’hui, la maman de Nils s’est libérée des clichés par l’action : elle a appris quelques mots du français signé pour aider son fils à bien s’exprimer. Elle se bat pour plus de moyens dans la recherche concernant la maladie, pour ses droits et une société plus inclusive. « Quand on élève un enfant handicapé, on a toujours un effort à faire pour réduire l’écart entre notre enfant et le monde ordinaire. Et c’est nous la passerelle. »

Triso Tornado, un hymne à la différence

Pleine de bienveillance, la bande dessinée montre que c’est la méconnaissance partagée qui produit les clichés. S’amusant des clichés et des angoisses, Violette Bernad raconte une histoire fortement inspirée de la sienne. Un récit heureux et plein de tendresse. « Mon livre raconte comment on va dompter la peur et comment on va continuer à vivre : de plaisanter, de râler, de travailler, de vivre. Ce n’est pas l’histoire d’une déchéance pour moi, mais bien d’une renaissance. »

Un entretien réalisé par Coline Desselle. Photo de Une : Futuropolis.