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Procès Bure salle audience justice

Au procès des 7 de Bure : « cette enquête ressemble à une barbouzerie »

L’enquête est tentaculaire, mais les infractions reprochées sont finalement bien maigres. Au procès des « malfaiteurs » de Bure, ces opposant·es au projet d’enfouissement nucléaire, la défense soupçonne la justice d’avoir fait du renseignement pour le compte de l’industrie du nucléaire. Récit de ces trois jours d’audience.

 

Ils et elles ne parlent pas à cette justice. « Je n’ai aucune envie d’assister à cette pièce de théâtre et je préférerais être dehors. Cette instruction n’a ni queue ni tête. J’ai passé sept mois en détention provisoire, et je ne dirai rien de plus. » Les sept prévenu·es ont soupé des contrôles judiciaires les empêchant de se voir, de se parler, de s’écrire, de lutter ensemble, voire même de boire un café sur à Bure où ils et elles sont parfois interdit·es de séjour.

Ils et elles en ont assez d’être sur écoute, des perquisitions, des interrogatoires à rallonge, des gardes à vue humiliantes. Après trois ans d’enquête, ces activisites sont fatigué·es de répondre de faits relevant de militantisme politique. A., l’une des prévenues assène : « dehors c’est une autre forêt que vous entendez, sur la place, nous sommes des arbres debout face à la répression politique. »


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22 000 pages de procédure pour le procès des sept de Bure

Alors, avant l’audience, on frémit. Va-t-on vraiment entrer dans le détail des 22 000 pages de la procédure ? Très vite, on comprend que non. Le magistrat instructeur en a fait une synthèse dans son ordonnance. Le document qui étaye le renvoi devant la cour de sept prévenu·es fait tout de même 180 pages.

À 13h, Me Kempf, l’un des avocats qui assure la défense des sept de Bure, demande une suspension d’audience. Ils et elles veulent aller manifester dans les rues de Bar-le-Duc. Une manifestation inspirée par une autre, celle contre la guerre du Vietnam en 1968 et relatée dans le film Les sept de Chicago. Le procureur reste muet, et le restera presque jusqu’à la fin du procès.

Tout commence par un restaurant 

Ce dossier est ficelé bizarrement. Au commencement des choses judiciaires, il y a un restaurant qui manque de brûler. Le 21 juin 2017, les officiers de police judiciaire constatent que Le Bindeuil, qui reçoit très souvent le personnel de l’ANDRA, vient d’être visité. Selon les témoins, cinq à sept personnes cagoulées entrent dans le bâtiment après avoir couché la clôture. Iels aspergent ensuite un relai électrique d’essence avant d’y mettre le feu. L’intrusion dure à peine 5 minutes plus tard. Les individus repartent à pied, notent les enquêteurs.

Comment le dossier a évolué : une manif qui tourne au chaos

Pourtant, l’enquête s’éloigne bien vite de cette action contre le Bindeuil. Le magistrat instructeur, Kevin Le Fur, élargit peu à peu ses investigations à d’autres faits. Une manifestation qui a lieu bien avant, en février 2017. Puis une autre, qui se déroule bien après, en août. Pratique pour étendre au maximum les actes de procédure. Mais les faits reprochés aux sept prévenu·es ne concerneront que cette manifestation d’août.

Ce jour-là, il est prévu de se rendre dans un champ concerné par les projets de l’Andra, l’agence nationale de gestion des déchets radioactifs. Sur ce terrain, il y a en effet une enceinte du néolithique, un site unique. D’ailleurs, des archéologues doivent participer à cette journée de mobilisation. Le cortège démarre de Bure pour aller vers Saudron. Un parcours qui ne passe pas à côté des bâtiments de l’Andra.

Me Muriel Ruef rappelle que le commandant de gendarmerie a ce jour-là fait un choix de maintien de l’ordre bien étrange. « Il n’a jamais été question de bloquer la route de Saudron, dixit le commandant C. L’autorité militaire, a pourtant, de son propre chef, bloqué cette route, et empêché une manifestation qui n’avait pas été interdite. » Ce jour-là, le cortège s’éparpille dans les champs et tourne au chaos. Selon le commandant de gendarmerie,320 grenades lacrymogènes, 37 grenades GLI-F4, 21 cartouches de LBD et 5 grenades de désencerclement sont utilisées. Robin Pagès perd une partie de son pied, soufflé par une grenade.

Deuxième jour d’audience : les témoins posent les enjeux politiques

L’orage gronde, et douche un peu les festivités devant le tribunal de Bar-Le-Duc. Les paillettes et la joie du dehors sont le miroir déformé de cette audience qui ronronne. L’entrée de Kevin Le Fur, magistrat instructeur dans sa trentaine, tend les prévenu·es. C’est à lui qu’ils et elles doivent l’intrusion des enquêteurs si loin dans leurs vies privées. Les avocat·es se relaient pour tenter d’élucider un mystère de cet épais dossier : pourquoi contient-il autant de pièces inintéressantes ? Pourquoi avoir conservé des rapports d’expertise qui se concluent invariablement par « sans lien avec les faits » ? Pourquoi des objets déposés sous scellé, à savoir des clés USB et autres disques durs, ont-ils été transmis à la DGSI ? « Je ne ferais pas de commentaire sur mon ordonnance de renvoi » répète ad nauseam le magistrat.

Vanessa Codaccioni au procès des sept de Bure : « le but, c’est toujours d’empêcher de contester »

Heureusement, à 14h, Vanessa Codaccioni entre dans la salle. Chercheuse, historienne, elle connaît les procès politiques sur le bout des doigts. Pour les prévenu·es, qui subissent les litanies du président depuis la veille, c’est une bouffée d’air.


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D’une voix claire, elle pose les enjeux du procès des activistes de Bure. Décrit ce mouvement de criminalisation de l’opposition, qui consiste « à faire de gestes militants des crimes et des délits pour emprisonner des individus en lutte. » Elle cite les garde à vue des Gilets Jaunes en 2018 et 2019, pour des détentions de menus objets dans leur sac. « Un canif, un masque ou des fioles de sérum physiologique. Il y a eu aussi les interdictions de séjour sur Paris, les contrôles judiciaires stricts. » Que ces dispositifs soient où non déployés de manière exceptionnelle, « le but, c’est toujours d’empêcher de contester ». Devant le tribunal, c’est la fête, en paillettes violettes. Les soutiens des prévenu·es ont organisé un petit pot de départ pour le directeur de l’Andra.

Que représentent ces 22 000 pages de procédures ? Vanessa Codaccioni invoque une autre affaire : celle de Tarnac. Une enquête-fleuve pour sabotage, les mêmes interdictions de se voir, de se parler, les mêmes effets dévastateurs sur le « groupe de Tarnac » dont la plupart sont placé·es sur écoute pendant de longs mois. « Même avant le procès, ils ont été punis, car cela fait du dégât. Le procès pour des faits de terrorisme a été requalifié en simple association de malfaiteurs. Dans la plupart des procès de ce type, j’en arrive à la même conclusion : il n’y a jamais de criminel·les… il y a des militantes et des militants. » Dans l’affaire de Tarnac, les prévenu·es ont d’ailleurs été relaxé·es.

Dernier jour d’audience : les plaidoiries

Ce dernier jour d’audience est à l’avenant des autres, un peu surréaliste. Me Florian Regley : « je me demande ce que vous avez fait pour mériter des témoins absents, un ministère public désintéressé, incapable de soutenir une accusation. » Seule la défense a présenté des témoins, a posé des questions, et désormais, entre dans le fond du dossier.

L’accusation, en la présence fantomatique du procureur, semblait avoir envie d’en terminer rapidement. Les parties civiles, les gendarmes, l’Andra et le conseil départemental de Haute-Marne se sont retirées. Seul reste l’avocat de la commune de Bure, qui somnole un peu. Sa plaidoirie tombe à côté de la plaque, en demandant des dommages et intérêts pour des faits qui ne sont plus reprochés aux prévenu·es. On se demande bien ce qu’on fait là, alors que devant le tribunal, l’ambiance à l’air franchement plus sympathique.

Détention d’explosifs en bande organisée

Le procureur requiert. Le voilà qui s’anime. Peu clair dans les infractions finalement retenues, il cite la principale : « détention de substances incendiaires ou explosives en bande organisée ». Lors d’une perquisition à la maison de résistance, lieu central de l’opposition au projet Cigéo, les enquêteurs ont en effet trouvé des « bouteilles incendiaires ». Deux bouteilles plastiques pleine d’hydrocarbure avec un pétard fixé au serflex. Le problème, c’est que les ADN sur ces bouteilles sont mélangés. Au terme d’une longue démonstration, Me Alice Becker demande donc la relaxe.

L’autre infraction retenue, l’« organisation d’une manifestation non déclarée », ne tient pas non plus très bien pour la défense. Le programme de la journée étant publié et l’organisation de la mobilisation relevant de quantité de personnes sans organisation hiérarchique, Me Ruef demande ainsi également la relaxe pour ces faits. Le procureur n’est pas de cet avis, et requiert des peines allant de 18 mois de prison avec sursis, à 12 mois fermes, selon les antécédents judiciaires des prévenu·es.

« Moi, ces méthodes-là, je ne les ai vues que dans des dossiers nucléaires »

Les peines semblent disproportionnées, et les éléments à charge bien maigres, malgré l’épaisseur du dossier. Me Alexandre Faro dit alors tout haut ce que le défense pensait tout bas. « Cette enquête ressemble à un acte de barbouzerie. » Toute cette procédure, avec ses 22 000 pages et ses informations détaillées sur la vie politique des militant·es anti-nucléaire, cet amas colossal de données, a finit entre les mains de l’Andra, un temps partie civile.

« Ce n’est pas digne d’une justice bien ordonnée, » assène l’avocat. « Moi, ces méthodes-là, je ne les ai vues employées que dans des dossiers nucléaires. » De fait, les militant·es ont vécu l’enfer pendant plus de trois ans, et le mouvement a eu le souffle coupé. Ils et elles savant que l’Andra connaît maintenant très bien leurs adresses mail, leur numéros de portable et autres informations personnelles qu’on trouve dans un dossier bien renseigné.

Des méthodes qui n’ont pas réussi à tuer le mouvement. A., le premier jour de l’audience résumait ainsi l’état d’esprit des opposant·es. « Inspirée par les arbres je me tiendrais debout. Je continuerai à participer à des manifestations, qu’elles se déroulent un 15 août ou pas. Je continuerais à combattre Cigéo et son monde. » Le tribunal rendra son jugement le 21 septembre prochain. 

Un reportage de Violette Voldoire. Photo de Une : Violette Voldoire pour Radio Parleur.

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