Les projets de « super-hôpitaux » se multiplient dans plusieurs villes françaises. Des structures de soin géantes qui naissent de la fusion d’établissements plus petits et réduisent souvent le nombre de lits disponibles. Une donnée devenue, pourtant, centrale en pleine pandémie de Covid-19. En Île-de-France, ce sont ainsi les hôpitaux Bichat et Beaujon qu’on détruit en faveur d’un grand centre hospitalo-universitaire. L’hôpital est prévu pour 2028 en plein cœur de Saint-Ouen. Un projet qui raconte les politiques de rationalisation à l’œuvre dans l’hôpital public depuis plus de vingt ans.


Six années de travaux intensifs puis un tout nouvel hôpital Grand-Paris-Nord. Sous l’impulsion de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le projet, pensé dés 2009 doit voir le jour en 2028. L’objectif : réunir, au cœur de Saint-Ouen, 12.000 étudiant‧es en médecine de l’université Paris-Diderot et les activités hospitalières de médecine interne, de chirurgie et d’obstétrique des hôpitaux Beaujon et Bichat-Claude Bernard.

Un hôpital pour résorber un « désert médical »

C’est vrai que le département de la Seine-Saint-Denis fait face à une réelle urgence médicale. Alors que la notion de désert est habituellement associée à la rase campagne, ce département voisin de la capitale est boudé par les médecins. Selon l’INSEE, on y compte 67 médecins pour 75 000 habitant‧es. Actuellement, les hôpitaux les plus proches sont Bichat et Beaujon, en mauvais état et remplis d’amiante. L’idée d’un grand hôpital en Seine-Saint-Denis paraît donc assez logique.

Signature d'une pétition contre l'hôpital grand Paris Nord.
Signature d’une pétition contre l’hôpital Grand-Paris-Nord, le 1er Mai 2021 à Paris. Photographie : Lucie Pelé pour Radio Parleur

Mais lorsqu’on s’y penche de plus près, le projet pose question, tant sur le nombre de lits voués à disparaitre, que sur son emplacement. La nouvelle structure devrait compter 300 lits de moins qu’aujourd’hui à Bichat et Beaujon. Un nouvel exemple de la logique managériale à l’œuvre dans l’hôpital public. Pourtant, cette politique est remise en cause depuis l’apparition du COVID-19, mais elle continue de s’appliquer. Sans parler des postes menacés pour les personnels des deux hôpitaux. L’AP-HP ne cache pas qu’elle cherche aussi à mutualiser les compétences. Des soignant‧es pourraient faire doublon avec leurs confrères et consœurs de Bichat ou Beaujon.

Le projet est aussi l’objet de critiques sur le plan urbanistique. Saint-Ouen est une ville en pleine explosion démographique. Le centre hospitalier doit pourtant s’implanter sur un site de 7 hectares à 100 mètres de l’église du centre ville de Saint-Ouen. Est-ce la meilleure idée pour redynamiser cette ancienne cité ouvrière ? Les opposant‧es à la construction de l’hôpital mettent en avant la circulation automobile déjà très importante dans la commune, accentuée par la circulation des ambulances, des visiteurs mais aussi des soignant‧es. Côté transports en commun, la nouvelle extension de la ligne 14 et l’historique ligne 13 du métro sont, elles, déjà surchargées aux heures de pointe.

Hôpital Grand-Paris-Nord : vers un « hôpital-usine », loin du service de proximité 

« C’est un mastodonte » qui va voir le jour, assure Olivier Lestang, co-référent de Génération‧s à Saint-Ouen. Pour un coût estimé à 1,3 milliard d’euros, le nouveau centre hospitalo-universitaire doit sortir de terre sur l’emprise de l’usine automobile PSA, témoin du passé ouvrier de la ville. Déjà aux manettes du nouveau Palais de Justice de Paris, l’architecte Renzo Piano a dessiné le futur hôpital. Il en dresse un portrait tout en verre qui hérisse les poils de certain‧es élu‧es EE-LV de Saint-Ouen.

Les soignant‧es, groupes politiques, et habitant‧es inquiet‧es de la mise en œuvre d’un tel projet se sont constitué‧es en mouvement citoyen. Son nom : Pas ça, pas là, pas comme ça. On y retrouve des groupes politiques comme le Parti communiste, la France Insoumise mais aussi des syndicats comme la CGT. À l’initiative d’une pétition qui a recueilli plus de 1500 signatures, le collectif dénonce la consultation citoyenne menée au pas de charge entre décembre 2018 et février 2019. Ils demandent un référendum citoyen à l’échelle municipale sur le projet d’hôpital. Pour le collectif, chaque habitant‧e doit pouvoir émettre son opinion sur ce projet qui impactera leur quotidien.

L'usine Peugeot Citroën à Saint-Ouen. Elle va être détruite pour laissé place au futur CHU Saint‐Ouen Grand Paris‐Nord en 2028. Photographie : Lucie Pelé pour Radio Parleur.
L’usine Peugeot Citroën à Saint-Ouen. Sa destruction prévue doit laisser place au futur CHU Saint‐Ouen Grand Paris‐Nord en 2028. Photographie : Lucie Pelé pour Radio Parleur.

Un projet symbole de la rationalisation de l’hôpital public

Les projets de nouveaux grands centres hospitaliers ne s’arrêtent pas à la région parisienne. En Loire-Atlantique, en plein cœur de l’île de Nantes, on recense 10 hectares consacrés à la construction du nouveau CHU. Située en zone inondable, la future structure est ainsi prévue pour 2026. Elle disposera de 1 380 lits, 200 de moins que les deux hôpitaux qui fusionnent pour permettre sa création. Là encore, les soignant‧es et la population redoutent la perte d’un service de proximité que leur assure les deux hôpitaux actuels.


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Pour Olivier Terrien, aide-soignant et secrétaire général CGT du CHU de Nantes, « Le CHU de Nantes est un hôpital en tension permanente dont la construction supprimera 400 postes. On va encore aggraver la situation alors qu’on est l’une des métropoles de France qui accueille le plus d’habitants/an dans ses hôpitaux.» Il souligne aussi que « l’hôpital sera totalement sous-dimensionné alors qu’on augmente les rythmes de travail sans augmenter les effectifs à la hauteur des conditions de travail. Ce qu’on veut ce sont des hôpitaux de proximité de qualité. »

Un reportage réalisé par Lucie Pelé. Photo de Une : Lucie Pelé pour Radio Parleur.

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