L’été militant ne se fera pas à grands coups de festivals de luttes et de grands rassemblements politiques. Camps climats locaux, petits événements régionaux, les militant・es s’adaptent. Dans l’Ouest, terre de luttes diverses et dynamiques, Radio Parleur vous emmène au cœur des retrouvailles et des réflexions du mouvement social.

Sur un mur de pierre de la rue de la Papotière, à Nantes, on peut lire, tracé à la mousse végétale : “Jardin à défendre”. Niché en face d’un cimetière, c’est dans le Jardin des ronces, grand espace occupé et autogéré, que le week-end de confluence du collectif Laisse Béton accueille des militant・es de toute la Bretagne les 27 et 28 juin 2020. Ici on parle de tout, y compris les à-côtés de la lutte : la prise en charge psychologique, l’isolement, parfois, de militant・es en ruralité, loin des autres personnes mobilisées. La difficulté à faire exister les luttes dans les médias et, surtout, les questions d’organisation concrète.

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L’entrée du Jardin des Ronces à Nantes, lors du week-end de confluence. Noan Ecerly.

Le collectif veut tisser des liens entre militant・es de la Bretagne aux Pays de la Loire. « On ressentait énormément, tous et toutes, ce besoin de se retrouver physiquement », explique Sam qui a déjà participé à plusieurs luttes à Notre-Dame-Des-Landes et ailleurs. Le confinement a été dur, et les membres de différents collectifs*, principalement contre des projets de bétonisation, cherchent l’énergie de repartir au combat. Après l’été, la rentrée des luttes sera intense, et l’agenda militant ne laissera que peu de place aux temps de réflexion.

Dans l’Ouest, l’héritage de luttes historiques

L’ouest de la France est marqué par plusieurs grandes luttes qui ont politisé plusieurs générations d’habitant·es. Dans les années 80, un mouvement d’opposition se cimente autour de la création d’une centrale nucléaire sur le site du Carnet, près de Nantes. Plus récemment, la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a également joué un grand rôle dans la création d’un tissu militant local. “Dans la région Nantaise, on a un mode de faire qui est ancré dans l’action directe, l’anarcho-syndicalisme et sur des pratiques type ZAD”, explique Maelium qui participe à plusieurs mobilisations écologiques dans la région.

Comment fédérer tous ces combats épars sur le territoire ? La jeune femme, qui milite au Jardin des Ronces, voit dans ce type de week-end l’occasion de créer des liens. “C’est d’essayer de créer un filon, un petit rhizome qui permette de nous mettre en lien. Tout en gardant l’autonomie de ces luttes, qui préexistent justement parce qu’on est plein d’unités différentes.”

Dans les campagnes, les difficultés de l’isolement des militant·es

Premier obstacle : faire face à l’isolement. “Les luttes contre les projets inutiles sont souvent dans des coins de campagne, assez isolés, où ce n’est pas évident de lutter.” explique Maelium. L’exemple de Bure, dans la Meuse, et de la lutte contre un site d’enfouissement de déchets nucléaires revient dans plusieurs discussions.  Les Grands projets inutiles et imposés, ou GPII, vont de la ferme agro-industrielle au petit centre commercial en passant par la serre tropicale géante.

Sur le même thème : retrouvez notre reportage Tropicalia, ZAD ou réalité ?

“On a peur de la pression du voisinage ou des représailles », avance Loïc, membre du collectif Terre Communes. Ces luttes dépendent pourtant de leur ancrage local, avec les habitant・es. Il y a quelques mois, la ZAD de la Dune, contre le projet de port à Brétignolles-sur-mer dans un village de 4 500 habitant·es, est expulsée en plein confinement. Certain・es riverain·es ont participé à l’incendie des cabanes, avec le soutien actif de la mairie.

Le collectif Stop Carnet, qui se bat contre une zone industrielle, ou encore la lutte contre le projet de surf park, ont pris dans de petites communes du Pays de Retz. « Se mettre en lien permet de sortir de cet isolement là, mais aussi de faire du lien avec les villes, où il y a beaucoup de militant·es qui pourraient venir grossir les luttes », précise Loïc. Selon les périodes de l’année, le vivier de personnes disponibles peut aussi fragiliser certaines luttes.

Répression et burn-out militant

Deuxième jour de réunions. Un groupe va s’installer dans un petit abri en bois, entre potagers et parcelles sauvages. Il y parle santé psychologique. « On se prend une répression assez impressionnante. On va contre la société, alors que naturellement, l’humain est plutôt un animal grégaire, qui a envie d’aller dans le sens du troupeau. Ça, plus tout le reste, ça suffit largement à expliquer des dépressions, » lâche Stram, un participant.

Peu à peu, les discussions dérivent sur la manière dont le groupe militant est pensé et structuré. « De groupe d’ami·es, à groupe d’ami·es plus politiques, avec des relations amoureuses au milieu… tout ça évolue. Au bout d’un moment tous ces groupes ont des vies qui sont un peu similaires,” explique un militant. Aller chez le psy ? Pas forcément la bonne réponse. « Les psy ne sont souvent pas politisés. Ils ne vont pas entendre ta détresse politique. »

L’atelier réfléchit à la manière de se passer de ce système. Comment faire du soutien psychologique, dans une dimension d’auto-organisation ? C’est un travail de longue haleine, qui demande du temps et de la préparation.

Une jeune femme travaille le bois à la ZAD de Notre-Dames-Des-Landes lors d'un weekend de construction collective à l'été 2019. Photographie : June Loper pour Radio Parleur
Une jeune femme travaille le bois à la ZAD de Notre-Dames-Des-Landes lors d’un weekend de construction collective à l’été 2019. Photographie : June Loper pour Radio Parleur

Pour Stram, mettre en place des choses concrètes est compliqué sur deux petites journées d’été. Surtout à une cinquantaine de militant・es : « On est dans des milieux anarchistes. Personnellement, je trouve que l’anarchisme est très mal compris. Et notamment par des gens qui se prétendent anarchistes. Dans le sens où, pour eux, l’anarchisme c’est pas d’organisation. Pour moi, c’est juste qu’il n’y a pas de hiérarchisation. »

Construire des “envies d’agir ensemble”

Le défi est donc grand pour le collectif Laisse Béton, qui tente de fédérer les luttes à l’échelle de l’Ouest. « On sait d’expérience que l’anarchisme a beaucoup de mal à penser la question de l’échelle. À grande échelle, c’est très compliqué de faire horizontal. Je trouve que là, la méthode d’organisation est pas mal. »

Qu’attendent les militant・es de ce week-end de confluence ? Rencontres et discussions débouchent sur des “envies d’agir ensemble” explique Stram. Avant de conclure : « Si on fait des trucs ensemble c’est cool. Si on organise des trucs ensemble c’est cool, mais on ne veut pas “organiser les luttes de l’Ouest”. Je pense que la nuance est extrêmement importante. »

*Liste non exhaustive de membres de collectifs présents. Terres Communes, des Gilets Jaunes, Makigo, des militant・es de différentes ZAD (Roybon, Zad de la Dune), l’Union Communiste Libertaire, Extinction Rebellion, Nantes contre le surf park, la Maison du peuple de Saint-Nazaire, Village du peuple de Donges, le Collectif Stop Carnet, le Jardin des Ronces, Alternatiba, Demosphère Laval… Etc.

Un reportage de Noan Ecerly. Photo de Une : Noan Ecerly.