L’événement est historique. Avec la pandémie, le système économique et nos modes de vie se figent. Déjà, certain·es poussent vers une reprise “comme avant”. Contre cette vision, des voix s’élèvent. Avec « Ceci n’est pas une parenthèse », Radio Parleur vous propose une série de podcasts pour entendre celles et ceux qui pensent aujourd’hui à un lendemain différent.

Dans ce cinquième épisode de Ceci n’est pas une parenthèse, Sylvaine Bulle se penche sur les effets de la pandémie sur les mouvements de contestation, les expériences d’autonomie politique et le désir de ne plus être gouverné. Sylvaine Bulle est sociologue et enseignante-chercheuse à l’université de Paris. Elle a notamment écrit l’ouvrage « Irréductibles: Enquête sur des milieux de vie de Bure à Notre-Dame-des-Landes » sur les Zones à Défendre (ZAD).

Pour Sylvaine Bulle, les occupant⋅es des ZAD se sont adapté⋅es à la crise sanitaire et au confinement. Dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, « il n’y a eu aucune discontinuité entre l’avant confinement, le confinement et, désormais, l’après », explique la sociologue. « Au-delà de ce que représente les ZAD comme modèle politique, c’est le lien qui est désormais énoncé entre sécurité et sanitaire », souligne-t-elle.

La « biopolitique sanitaire », une menace pour la démocratie

A ses yeux, la crise sanitaire est devenue un prétexte pour le gouvernement pour renforcer la sécurité. Au regard de l’histoire, les pandémies renforcent toujours un contrôle sanitaire et donc, un contrôle social. Aujourd’hui, la répartition des régions en zones verte, orange ou rouge, « et ces dispositifs technocratiques, étendus désormais à des dispositifs de contrôle des populations, relèvent de la biopolitique », analyse Sylvaine Bulle.

Cela ne concerne plus uniquement le sanitaire, mais aussi les déplacements, les rassemblements, la surveillance, « et la possibilité d’entrer dans les vies par plusieurs dispositifs », souligne-t-elle. En cela, la sociologue estime que la biopolitique est une réelle menace pour la démocratie et les outils de justice sociale. Il s’agit de sélectionner celles et ceux qui rentreront dans un lien entre sécurité et sanitaire, mais surtout dans un lien entre sanitaire et économie.

« On va sans doute voir très rapidement en France, comment décider que certain⋅es seront plus aptes à entrer dans tous ces dispositifs de contrôle et dans la gouvernementalité, et pas d’autres. Celles et ceux qui ne sont pas aptes, ou réticent⋅es, sont les plus pauvres ou les ignorant⋅es sanitaires et écologiques », explique Sylvaine Bulle. « Ils ne sont pas utiles à la bonne économie de marché ».

Le pouvoir central remis en question : vers le renfort des régions ?

De fait, les opérations de police continuent pour enrayer certains mouvements de contestation, comme celui des Gilets Jaunes avec la destruction de la dernière cabane du Morbihan. L’évacuation de la ZAD de la Dune, à Brétignolles-sur-Mer, ne s’est pas non arrêtée au confinement. 

Ce non-respect des consignes nationales dans plusieurs territoires régionaux, observé plus d’une fois au cours de ces dernières semaines, s’explique par différentes raisons. « Le constat est de voir que des acteurs politiques institutionnels se rebellent », explique Sylvaine Bulle. « Notamment, les présidents de conseil de région qui désapprouvent ou désobéissent le fait de ne pas ouvrir des parcs ou des plages par exemple », précise-t-elle.

A une autre échelle, en dehors des acteurs de la démocratie représentative, des appels à l’autonomie politique émergent. « Pour le moment, ils sont encore invisibles », souligne Sylvaine Bulle. « Mais je vois de plus en plus de propositions à constituer, au fond, des espèces de petites républiques indépendantes. C’est très lié à la façon dont le gouvernement gère cette crise ».

Les expériences d’autonomie politique comme réponse à la crise

Pour la sociologue, de plus en plus de personnes ne souhaitent plus être gouvernées par l’État, mais aussi par des grandes entreprises, « la question d’Amazon étant devenue très importante », rappelle Sylvaine Bulle.

Dans ce contexte, et à l’avenir, la place des expériences d’autonomie politique va être « de plus en plus grande », juge-t-elle. « On voit déjà ‘s’hybridiser’ des choses. Des autonomes cherchent à se rapprocher des agriculteurs, des soignants, de groupes très précaires. Un imaginaire commence à se déployer. De ce point de vue, l’autonomie politique a un avenir certain ».

 

Un podcast réalisé par Augustin Bordet. Photo de Une : Radio Parleur.