Depuis le début de l’épidémie de Covid-19 en France, le gouvernement adopte des mesures fortes pour limiter la propagation du virus. Le 17 mars, une période de confinement au caractère “exceptionnel” commence. Pour l’historienne Célia Miralles-Buil, ce type de contrôle sanitaire, qu’on retrouve à plusieurs périodes de l’Histoire, révèle les tensions qui traversent notre société.

La semaine précédente, restreindre les libertés des Français・es était impensable. Puis vint la « guerre sanitaire ». Le 16 mars à 20h00, le président de la République n’hésite pas à employer des termes forts pour évoquer la propagation du virus Covid-19. Pour l’endiguer, des mesures strictes sont mises en place par le gouvernement, à commencer par la limitation des déplacements de la population. « Restez chez vous » devient le mantra d’un pays que la vague épidémique va submerger. Une période de confinement débute dès le lendemain, le 17 mars à midi, et ce qui était absurde la veille, devient possible.

L’isolement sanitaire existe au moins depuis l’Empire romain

Le principe d’isolement imposé à la population, lui, n’est pas nouveau. Pour Célia Miralles-Buil, post-doctorante à l’université de Lisbonne et membre du Quarantine Studies Network, « il est difficile de dater les premières fois où l’on a mis des personnes en isolement. On pense tout de suite aux léproseries, développées au Moyen-Âge mais déjà existantes dans l’Empire romain ».

La première quarantaine préventive a été mise en place en 1377 dans le port de Raguse, aujourd’hui Dubrovnik, à l’occasion d’une épidémie de peste. Le premier lazaret, un lieu spécialement conçu pour mettre en quarantaine, a lui été construit à Venise en 1423, sur l’île de Santa Maria di Nazareth. Cette structure permettait d’accueillir les voyageur·ses suspecté·es de peste. De nombreuses villes méditerranéennes l’ont rapidement adoptée par la suite.

« Il y a une volonté d’utiliser ces savoirs comme ils le veulent »

Qui décide de mettre en place toutes ces mesures restrictives ? « Ce sont les pouvoirs publics », explique Célia Miralles-Buil. À ses yeux, il existe un lien entre les savoirs de l’époque et les décisions prises par les autorités. « Il y a une volonté d’utiliser ces savoirs comme ils le veulent », affirme-t-elle.

Au milieu XIXe siècle, deux théories médicales s’affrontent. D’une part, la théorie miasmatique, ou anti-contagionniste, qui se focalise sur l’air ambiant. D’autre part, la théorie contagionniste, qui se concentre sur les individus, et justifie ainsi l’idée qu’il faut maintenir les quarantaines. « Les pouvoirs vont utiliser l’une ou l’autre des théories selon ce qui leur convient le mieux ».

Contestations et remises en cause politiques

Dans un cas comme dans l’autre, les différentes mesures adoptées sont toujours contestées. Tout d’abord, dans le milieu de la médecine même, avec l’opposition de ces différentes théories. Les contestations politiques existent néanmoins, comme lors de la peste de Porto en 1899. Le blocage de la ville par des militaires est lourdement critiqué par les autorités locales, en conflit avec les autorités nationales de Lisbonne. « Les élites politiques et économiques de Porto voient ça comme une sanction politique de la part du pouvoir central », raconte Célia Miralles-Buil. Enfin, la population conteste aussi ces mesures.

« Le contrôle sanitaire est déjà un contrôle social »

Après les mesures préventives et la gestion de crise, le retour à la norme dépend de l’intensité de la crise. « À l’échelle de quelques personnes, d’une ville ou d’un pays, ça sera différent. En cas de grosse crise épidémique, ça peut prendre des mois. Et là, l’impact économique est énorme ». La crise sanitaire peut alors se muer en crise économique, sociale et politique. C’est ce qui se passera à Porto après l’épidémie de peste de la fin du XIXe siècle.

« Il y a une récurrence dans cette idée d’analyser la crise et d’observer les défaillances », explique l’historienne. « Pendant la crise, c’est sûr que ça amène à plus de contrôle social. On le comprend bien aujourd’hui dans ce qu’on vit ». Pour elle, une crise sanitaire est proche des autres crises, puisque la gestion en est semblable. « Les crises sanitaires renforcent un contrôle sanitaire, et le contrôle sanitaire est déjà un contrôle social ».

« La santé est un très bon argument pour faire accepter des mesures »

Après la crise épidémique, les autorités mettent en avant le renouvellement des normes sanitaires et les progrès dans le domaine. Voilà qui peut rapidement occulter les modes de gestions de la crise elle-même, parfois très répressifs. Les épidémies de typhoïde qui ravagent certaines villes du sud de l’Europe vont par exemple justifier la destruction de quartiers entiers, arguant qu’il s’agissait de points de départ de l’épidémie.

Les pèlerin·es de la Mecque, pointés du doigt comme responsables du choléra

À partir de l’époque de la bactériologie, des mesures ciblent directement certaines populations. « Le cas des pèlerins de la Mecque est intéressant à évoquer », précise Célia Miralles-Buil. Ces derniers sont considérés comme les responsables de l’épidémie de choléra de 1865. 

Un contrôle social sur une population ciblée se met alors en oeuvre sur les ports de la Méditerranée. En réalité, le contrôle sanitaire masque un autre type de contrôle, discriminatoire celui-ci. Les pèlerin·es sont parqué·es à l’extérieur de la ville. « C’est difficile de faire la part des choses, la ségrégation raciale existait déjà avant cet événement. Mais on peut voir une crise épidémique comme une manière d’accélérer des processus déjà en cours, ou du moins de les rendre visible », explique l’historienne « Et surtout, la santé est un très bon argument pour faire accepter ces mesures ». 

Malgré tout, une partie de la population ne respecte pas les mesures : les plus démuni·es, qui sont accusé·es d’ignorance et de manque d’hygiène dans les journaux, celles et ceux qui désobéissent pour leur survie, comme les contrebandier·es, qui continuent de passer les frontières pour répondre au besoin d’alimenter leur famille, parfois même leur village. « Ceux qui partent pour les provinces, dont on a beaucoup parlé dernièrement », poursuit Célia Miralles-Buil. « C’est un grand classique des épidémies. Ceux qui ont les moyens de partir et de détourner les mesures le font ».

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« Aujourd’hui, tout le monde se protège des uns et des autres »

Pour l’historienne, la particularité de la crise du Covid-19 vis-à-vis de ses ancêtres, « c’est son ampleur ». Dans les crises précédentes, c’est le village ou la ville qui s’isole pour se protéger. « Aujourd’hui, tous les individus se protège des uns et des autres ». Il n’y a plus vraiment de frontières entre zone infectée et une zone saine. 

« La seule épidémie d’une ampleur un peu équivalente, c’est la grippe espagnole de 1918-1919, mais on était dans un contexte d’après-guerre très différent », rappelle Célia Miralles-Buil. Dans le contexte actuel, l’inédit est ainsi de mettre tout le monde en confinement. « C’est difficile de dire ce qu’il va en rester, mais peut-être une réflexion sur le contrôle social », s’interroge Célia Miralles-Buil. « Une crise, c’est quelque chose où les outils de contrôle utilisés sont poussés à leur paroxysme. Ça nous permet de nous rendre compte de ce qu’il se passe de manière plus vive ».

Un entretien réalisé par Augustin Bordet. Photo de Une : Pierre-Olivier Chaput pour Radio Parleur.

 

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