Distance sociale et confinement sont de mise depuis plus d’un mois. Dans les prises en charge des plus précaires, les étranger·es ne sont pas prioritaires. Des associations alertent sur le cas de mineur·es isolé·es. Certain·es se retrouvent à la rue, conséquence directe du ralentissement des dispositifs d’aide et de la justice.

 

« J’ai passé 15 jours dans la rue. Je dormais dans la rue. 15 jours », lâche Idriss, un jeune Ivoirien de 15 ans. Ce garçon fait partie de ce que l’administration dénomme les MNA, “mineurs non-accompagnés” étrangers. Pas de confinement dans un lieu sûr pour lui. Il s’est retrouvé dehors, seul. « J’ai pris des renseignements dans la rue et on m’a dit d’aller au commissariat », poursuit le jeune homme. Il ira de commissariat en commissariat, en vain. C’est finalement lorsqu’une adulte l’accompagne, qu’il est pris en charge.

Moins de lieux d’accueil et d’évaluation

Durant le confinement, les dispositifs d’évaluation de la majorité sont moins nombreux et moins longtemps ouverts. C’est pourtant la première étape, lorsqu’un·e jeune mineur·e isolé·e arrive sur le territoire. La police doit orienter les jeunes, en dehors des horaires d’ouvertures de ces dispositifs. Espérance Minard est présidente de l’association Timmy, d’aide aux mineur·es isolé·es et aux jeunes majeur·es. Elle déclare : « C’est un point sur lequel on lutte au quotidien puisqu’on pense que le commissariat n’est pas un lieu d’accueil quand on arrive de l’étranger et qu’on a vécu des mois et des mois sur la route. »

Elle souligne que des signalements de jeunes à la rue continuent, plusieurs semaines après le début du confinement : « Être à la rue à cet âge là…À tout âge c’est scandaleux, mais à cet âge là, il y a des risques supplémentaires, on est plus vulnérable et plus manipulable, on est très vite la cible de prédateurs. » Pour cette militante, l’épidémie actuelle met le doigts sur une situation qui existe depuis longtemps, mais qui restait invisible.

Un gymnase de confinement pour les mineurs étrangers

À Paris, un gymnase a été ouvert, le temps du confinement, pour accueillir ces jeunes mineurs étrangers. Jean-François Martini est chargé d’étude au Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés). Il dénonce cette tentative de mise à l’abri : « Ce n’est absolument pas concevable de ne pas faire attention aux jeunes qui peuvent être éventuellement atteints par le Covid 19, en les mélangeant avec les autres. On demande que ces jeunes soient confinés dans des logements adaptés de la protection de l’enfance. L’ASE sait utiliser notamment des chambres d’hôtel ».

Pourtant même lorsque des jeunes sont placé·es dans des chambres d’hôtel, la prise en charge n’est pas nécessairement suffisante d’après les associations. Certain·es se sentent délaissé·es, comme le raconte Espérance Minard : « Certains sont vraiment abandonnés dans leur chambre d’hôtel, sans autre contact avec l’extérieur ou avec les services de l’aide sociale à l’enfance que deux repas envoyés quotidiennement. Aucun appel d’éducateurs, ou de qui que ce soit, ils n’ont même pas eu de consignes précises », s’alarme-t-elle.

La justice à l’arrêt pour le droit des étrangers

Si la situation actuelle semble déplorable pour les associations, c’est aussi parce que la justice et les tribunaux fonctionnent au ralenti. Quand ils et elles arrivent en France, les mineur·es passent par la plateforme d’évaluation. S’ils et elles sont considéré·es majeur·es, leur seul recours pour être pris·es en charge est de saisir la juge des tutelles ou le juge des enfants : « Entre d’une part le mouvement de grève des avocats et avocates juste avant le virus et là le confinement : en tout on va être sur 4-5 mois de retard sur le parcours de ces jeunes et leurs droits à faire valoir en justice leur minorité », déplore Anita Bouix. Elle est avocate à Toulouse et présidente de l’association des Avocat·es pour la défense des personnes étrangères à Toulouse.

Pour certains tribunaux, le contentieux des mineur·es isolé·es n’est pas considéré comme une urgence, qui reportent alors les audiences. Or pendant leurs recours en justice, les jeunes ne bénéficient d’aucune aide de l’État. C’est donc eux et elles, ainsi que les primo-arrivant·es, qui se retrouvent à la rue.

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Les ONG adressent une lettre ouverte au gouvernement

Alarmé·es par la situation, 36 associations et syndicats et 88 avocat·es ont signé une lettre ouverte. Parmi les signataires, on trouve la Cimade, le syndicat Solidaires, Médecins sans frontières ou encore Amnesty International. Cette lettre s’adressait, le 6 avril dernier, au premier ministre, Édouard Philippe ; à la garde des sceaux, Nicole Belloubet et au secrétaire d’État à la protection de l’enfance, Adrien Taquet.

Pour ces associations, les réponses du gouvernement ne sont pas au rendez-vous pour le moment. Elles demandent des « mesures contraignantes pour assurer la protection de tous les mineurs non-accompagnés dans le contexte de l’épidémie du Covid-19 ».

Plusieurs jours après ce courrier, des jeunes sont toujours en détresse et sans solution d’hébergement. Alors le 12 avril, 104 parlementaires ont eux aussi adressé une lettre à Édouard Philippe. Elle a été publiée dans le JDD, avec les revendications suivantes : la régularisation des sans-papiers, une prise en charge des sans-abris (puisqu’ils sont aussi dans une situation de vulnérabilité), et une approche adaptée pour les mineur·es isolé·es.

Un reportage réalisé par Noan Ecerly. Photo de Une : Noan Ecerly.

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