Les agent·es de stations d’épuration sont en contact le coronavirus, présent dans les eaux usées contaminées. Pour l’instant, aucune analyse ne permet d’en mesurer la quantité dans les réseaux, et donc d’évaluer le risque pour les salarié·es, qui réclament le classement de leur métier en profession insalubre.
Cureur·se de réseaux, conducteur·ices de station, ou encore agent·es d’exploitation, au sein des stations d’épuration, elles et ils sont plus de 30 000 en France à travailler pour assurer la continuité de ce service public indispensable. “S’il n’y a plus de stations, excusez-moi l’expression, mais on serait dans la merde !” Rémi Molinaro n’a pas laissé son sens de l’humour au fond d’un bassin de rétention. Salarié d’une station d’épuration en Seine-Saint-Denis, il est quand même un peu inquiet. Lui ne peut pas télétravailler comme ses collègues de l’administration. “Nous avons organisé un roulement pour réduire les contacts. On travaille désormais une semaine sur deux”, explique Rémi Molinario.
Les lingettes désinfectantes compliquent le travail des ouvrier・es
Depuis le début de la pandémie de coronavirus, le travail des salarié·es des stations d’épuration est aussi plus pénible, à cause de la quantité exponentielle de lingettes jetées dans les toilettes. Ce geste machinal bloque certaines machines et détériore le matériel. Surtout, la quantité industrielle de ces lingettes plus épaisses que du papier toilette mobilise davantage des salarié·s en sous-effectif.
“Nous estimons qu’en ce moment, les trois quarts des interventions sont liées aux problèmes causés par les lingettes,” alerte Marillys Macé. La directrice générale du Centre d’Information sur l’Eau lance “cri d’alarme pour la profession. Ils devraient pouvoir se concentrer sur les opérations essentielles”.
Le coronavirus présent dans les eaux usées des stations d’épuration
“Il y a une consigne bien spécifique qui a été donnée. Normalement, lorsque nous récoltons les boues au fond des cuves, elles peuvent servir à l’épandage dans les champs… et bien là il y a interdiction d’épandre.” Délégué CGT-SIAAP, le Syndicat Interdépartemental pour l’Assainissement de l’Agglomération Parisienne, Didier Dumont, ne doute pas un instant de la présence du virus est une menace pour les salariés dans les stations. Un article publié dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) atteste d’ailleurs la présence du coronavirus dans les selles de patient·es contaminé·es.
Pourtant, selon Christine David, responsable du pôle prévention des risques biologiques à l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), le risque de contamination pour les agent·es des stations d’épuration n’est pas une certitude : “En supposant que le Covid-19 présent dans les eaux usées soit toujours vivant, on peut se demander si cette quantité de virus diluée avec tous les autres effluents serait suffisant pour contaminer une personne ?“
Pour trancher cette question, des analyses mesurant la quantité de virus présent dans les eaux usées seraient bienvenues. Une requête déjà formulée par la fédération CGT du Syndicat Interdépartemental pour l’Assainissement de l’Agglomération Parisienne (SIAAP). “Nous n’avons reçu aucune réponse“, explique Didier Dumont de la CGT-SIAAP. Contacté à ce sujet, le SIAAP n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Un besoin de cinq cent mille masques par semaine
Les masques restent la protection la plus efficace pour les salarié・es au contact des goutelettes en suspension dans l’air des stations. Tristan Mathieu, délégué général de la Fédération des Entreprises de l’Eau (FP2E) estime le besoin à 500 000 masques par semaine pour protéger l’ensemble des salarié·es. Problème, le stock de masques FFP3 se réduit comme peau de chagrin. “Le SIAAP nous a indiqué il y a plusieurs semaines avoir du stock pour environ deux mois, mais dans la condition où tous les agents ne sont pas sur le terrain“, indique Didier Dumont de la CGT-SIAAP.
“Avant le coronavirus, les masques on n’y pensait pas”
La protection, essentielle, est éprouvante pour les salarié・es. “Au bout de deux heures à peine, le masque est humide, c’est très gênant pour la respiration”, décrit Didier Dumont. Avant la pandémie de coronavirus, les salarié·es avaient déjà accès à ces masques.
Sébastien Forget s’occupe du curage des réseaux dans une station d’épuration du nord de la France. Avant le coronavirus, il n’avait pas pour coutume de porter un masque FFP3. Pourtant, il est tout à fait conscient de l’insalubrité de son métier :“Nos ennemies invisibles ce sont les bactéries. Par exemple, la première semaine, un nouvel agent a toujours des problèmes intestinaux, parce que son corps n’est pas habitué.” Habitué ou pas, cette fois, Sébastien porte les protections supplémentaires contre le coronavirus.
Une multitude de bactéries dans les eaux usées
Pourtant comme le rappelle Fabien Squinazi, membre du Haut Conseil de la Santé Publique (HSCP), le Covid-19 est loin d’être le seul virus présent dans les eaux usées : “Ces salariés sont déjà exposés à un certain nombre de risques biologiques : bactéries fécales, ou encore des levures, des moisissures, mais aussi des virus qui proviennent du tube digestif, plus résistants dans les eaux usées.“
Ce médecin biologiste, travaille notamment sur l’exposition des agent·es de l’assainissement aux risques de contamination bactériologique. Dans un avis du 17 mars qu’il a co-rédigé, il explique que les protections dont disposent les agents des stations d’épuration sont déjà suffisantes pour se prémunir du coronavirus : “Les risques sont présent surtout lorsqu’il y a des activités qui peuvent provoquer des projections d’aérosols, donc des gouttelettes qui contiennent des bactéries. C’est pour cela que le port de masque est indispensable.“
“On connaît peu de collègues qui vivent après 70 ans”
Sylvie* salariée d’une station d’épuration dans les Hauts-de-France, ne les a jamais utilisés avant la crise. “Nous ne sommes pas vraiment au courant des risques de nos métiers. Peut-être que le coronavirus va changer les choses, et qu’on va beaucoup plus se protéger.” Peut-être aussi que le caractère dangereux de leur profession pourrait rouvrir une porte bien fermée par le gouvernement, espère Didier Dumont.
Depuis plusieurs années, les salarié·es de l’assainissement en station d’épuration revendiquent le statut de profession insalubre. Cela leur permettrait d’obtenir une retraite à 52 ans, soit 10 ans avant l’âge légal. “On connaît peu de collègues qui vivent après 70 ans,” ajoute Didier Dumont.
Un départ 10 ans avant l’âge légal qui n’est pas prévu dans la réforme des retraites telle qu’imposée avant le confinement. Le système par points prévoit un départ en retraite seulement deux ans avant l’âge légal, soit 62 ans. Ce statut de profession insalubre est déjà accordé aux égoutiers, selon l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), elles et ils ont une espérance de vie inférieure de 17 ans à la moyenne nationale
*Ce prénom a été modifié pour garantir l’anonymat de la personne
Un reportage réalisé par Auriane Duroch-Barrier.
Musique : Down With That par Twin Musicom est distribué sous la licence Creative Commons Attribution. Image de une : Pixabay, banque d’images libre de droit.
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