A la suite de la condamnation de Deliveroo par les Prud’hommes le 6 février dernier, une vingtaine de coursiers ont bloqué l’usine de Saint-Ouen le 14 février dernier. Au-delà d’interpeller sur leurs conditions de travail, ils et elles veulent imposer un rapport de force et un dialogue social avec le géant de la livraison de repas.

[Première diffusion le 19 février 2020]

Il n’y a pas de commande à livrer ce soir pour Nassim, Antoine ou Vincent. Vendredi 14 février, soirée de la Saint-Valentin, ils décident de couper leur moteur et de ne pas répondre aux notifications de l’application Deliveroo. Parmi une vingtaine de coursiers ils ont répondu favorablement à l’action de blocage de l’Usine Deliveroo Édition à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), initiée par le Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP). Après une heure de blocage, l’objectif est atteint: le site ferme ses portes pour la soirée.

Les coursiers présents, tous des hommes, ont troqué leur imposant sac de livraison contre des banderoles et un mégaphone. “La Saint-Valentin pour Deliveroo c’est 40% de chiffres d’affaires en plus. Nous allons faire en sorte que ce soit 40% d’argent en moins en ne laissant pas sortir les commandes de l’usine”, explique Nassim, en accrochant une banderole avec les revendications du CLAP, surmonté d’un “au secours” en lettres rouges.

banderole
Le CLAP affiche une banderole devant l’usine Deliveroo de Saint-Ouen. (Photographie : Auriane Duroch pour Radio Parleur)

Le lieu n’a pas été choisi au hasard : l’usine Deliveroo Edition de Saint-Ouen abrite une quinzaine de cuisines, l’équivalent de près de “1000 commandes” pour un soir de Saint-Valentin selon Jérôme Pimot, le porte-parole du CLAP. “Généralement, les livreurs comprennent bien et sont solidaires, ils nous rejoignent dans le mouvement ou vont chercher une commande dans un autre restaurant”, indique Vincent, 30 ans livreur à Deliveroo depuis un an et demi.

Un syndicat pour défendre les livreur·euse·s

Par cette action, les livreur·euse·s entendent imposer un dialogue social avec la plateforme. Si cela fait plusieurs années que les coursier·e·s réclament de nouveaux droits, depuis quelques semaines les choses s’accélèrent. Pour la première fois, un livreur a réussi à faire condamner Deliveroo pour travail dissimulé aux Prud’hommes le 6 février 2020. Cette décision fait suite à la requalification du contrat de prestation de service de ce coursier en contrat de travail. Une petite victoire pour le CLAP qui a décidé de se transformer en syndicat.

“Nous menions déjà des actions en tant que collectif, mais nous transformer en syndicat va nous permettre de porter nos revendications auprès des instances politiques”, explique Jérôme Pimot. Pour l’instant, le porte-parole du CLAP n’est pas satisfait des réponses de Deliveroo : “Nous avons eu une réunion avec deux cadres il y a une dizaine de jours. Mais ça n’a servi à rien ils ne nous donnent pas de réponses. Nous voulons des informations précises sur la rémunération des temps d’attente en restaurant qui n’est pour l’instant pas rémunérée, une clarification des tarifs et une vraie représentation syndicale.”

Lutter contre l’exploitation de l’ubérisation

Nassim Hamidouche, pour sa part est un ancien livreur de la plateforme. Il affirme avoir été licencié à cause de son rôle de leader au sein du mouvement de protestation contre la nouvelle grille tarifaire lors de l’été 2019. “Le problème c’est que nous sommes un corps de métier sans représentation syndicale, il est très difficile de faire respecter nos droits. Il faut que le mouvement s’organise et que les travailleurs soient solidaires les uns des autres en participant aux actions”, convient l’ancien coursier. Ce dernier travaille désormais en tant que salarié dans une autre entreprise mais continue de lutter aux côtés de ses anciens collègues. Pour lui, outre la précarité infligée par Deliveroo, y travailler est dangereux pour la santé mentale : “La plateforme joue sur la pression psychologique, il y a des livreurs qui ne dorment pas la nuit, ils ont peur d’avoir loupé un créneau ou une notification.”

“Fin juillet 2019, Deliveroo a supprimé le minimum tarifaire pour une commande soit 4,70 euros auxquels s’ajoute un forfait kilométrique. Désormais nous sommes payés seulement selon la distance parcourue”, explique Vincent. Pour Jérôme Pimot, le combat ne concerne pas seulement Deliveroo :“Toutes les plateformes utilisent des auto-entrepreneurs pour se dédouaner des cotisations sociales. Il faut réussir à démontrer qu’elles enfreignent la loi”.

Le gouvernement a ouvert le 14 janvier dernier une mission parlementaire pour “une meilleure représentation des travailleurs des plateformes numériques”. Récemment, Le Média, a dévoilé comment Deliveroo tentait d’empêcher la représentation syndicale au sein de l’entreprise. Tout en poussant un représentant qui leur était favorable : Grégoire Leclercq, président de la Fédération des auto-entrepreneurs.

Un reportage d’Auriane Duroch. Photo de Une : Auriane Duroch.

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