Quel projet de réforme des retraites passera au conseil des ministres ce vendredi 24 janvier ? Âge pivot, baisse des pensions, fin des régimes spéciaux, autant de points qui ont parfois évolué au gré des mobilisations. Agathe, fonctionnaire, a formé avec des citoyen.nes le collectif “Nos retraites”. Un objectif : détricoter cette réforme complexe aux enjeux puissants.
Les grèves et manifestations s’enchaînent depuis le 5 décembre. Certains secteurs mobilisés ont obtenu des concessions de la part du gouvernement. C’est donc une réforme déjà modifiée qui arrive devant les ministres. Grâce à un site internet et les réseaux sociaux du collectif Nos retraites, ces citoyen.nes compilent les informations, les vérifient et décryptent les discours de manière pédagogique. Car cette réforme des retraites est un véritable casse-tête. Elle a été “rendue volontairement technique et compliquée à comprendre par le gouvernement” explicite Agathe.
L’utilisation de termes complexes rend difficile l’entrée dans le sujet. “C’est une manière très habile pour le gouvernement de masquer les enjeux de cette réforme, notamment la baisse du niveau des pensions” dépeint la fonctionnaire impliquée dans le collectif. L’idée derrière leur travail ? “Donner les clés” et “la confiance aux gens de parler de la question des retraites. Tout le monde doit se sentir légitime d’en parler car cela concerne notre avenir”.
Un objectif clair : “baisser le niveau des pensions”
Pour Agathe, l’objectif affirmé du gouvernement est de baisser de manière générale les dépenses liées aux retraites dans la richesse nationale. C’est le fameux plafond des 14% du produit intérieur brut. Ce système inédit prévoit “qu’on ne va pas dépenser plus de 14% de notre richesse produite chaque année dans nos retraites”. L’argumentaire avancé promet une dépense restreinte et “une maîtrise des dépenses publiques”. Le contribuable ajoute de l’argent “au pot” pour financer les pensions de retraite. Ces dernières verront mécaniquement leur niveau baisser par le plafonnement du PIB, dans la mesure où le nombre de retraité.es augmente, “de 20% à 27% dans la population” détaille Agathe.
La retraite à points
Le moyen pour mettre en place cette idée ? La retraite à points. Ce système “ajuste automatiquement les retraites au niveau d’argent mis dans le pot. Il n’y aura plus besoin de réforme des retraites. Cela pose un problème démocratique sur le débat”. Cet ajustement se fait avec l’âge pivot, aussi âge d’équilibre, qui se décalera d’années en années dans “l’objectif d’équilibrer financièrement le système sur la base de ces 14% de PIB“.
“Le calcul se basait sur le revenu des 6 derniers mois dans le public et des 25 meilleures années dans le privé. L’idée c’était que les retraités ne doivent pas perdre en niveau de vie et ne pas subir de baisse de pouvoir d’achat”, indique Agathe sur le système à “prestations définies” actuel. Sauf qu’avec le nouveau système “Macron”, l’incertitude plane. Ce sont des “cotisations définies où l’on achète des points. Et on ne sait pas quel sera notre niveau de vie au moment du passage à la retraite. Tout le monde sera perdant et il faudra travailler plus longtemps”.
Le collectif a effectué ses calculs : pour une personne ayant effectué une carrière complète née en 1961, son taux de remplacement (le pourcentage du dernier salaire que conserve un salarié lorsqu’il fait valoir ses droits à la retraite) est de 73% actuellement ; pour une personne née en 1990 et subissant la nouvelle réforme, sa pension de retraite serait égale à 56% de son dernier salaire.
L’équilibre financier gravé dans le marbre
Agathe est inquiète : “Le plafond a été réaffirmé récemment.” De plus, “il y a une règle d’or dans l’article premier du projet de loi organique (cela est très fort juridiquement et symboliquement, c’est à peine en dessous de la constitution). Le gouvernement souhaite que le système des retraites soit à l’équilibre entre cotisations et prestations.” Ce principe d’équilibre financier, indexé sur la richesse nationale remplace l’objectif d’obtention d’une pension décente quelque soit les fluctuations du PIB.”Cela va conduire à l’ajustement par le bas du niveau des pensions. En cas de crise, le niveau des pensions va baisser. Ainsi les retraites ne sont pas garanties”.
Un âge pivot réellement retiré ?
La réforme des retraites sera effective pour les générations nées à partir de 1975. Mais “avant ça, il y a une autre forme de réforme. On va jouer sur un paramètre du système actuel de retraite. On considère que le système ne peut pas être en situation de déséquilibre financier”. Agathe explique que les personnes aux portes de la retraite vont devoir travailler plus longtemps et attendre cet âge pivot de 64 puis 65 ans. Même si l’âge légal est atteint et les 43 annuités cotisées, les travailleur.euses seront poussés à travailler plus longtemps pour ne pas subir de décote : c’est-à-dire une baisse du niveau des pensions.
Le gouvernement veut bien retirer cet âge pivot, si “les partenaires sociaux arrivent à trouver une autre manière de faire 12 milliards d’économies d’ici 2020. Il exclut donc toute possibilité d’augmenter les financements, donc cela va se traduire par un allongement de la durée du travail”. L’âge d’équilibre, lui, n’est pas retiré. “C‘est la même chose que l’âge pivot”, pour les générations après 1975, rappelle Agathe. Ce paramètre va augmenter dans le temps pour toujours atteindre ce fameux équilibre.
La militante s’inquiète aussi du fait que ce nouveau système soit “un appel d’air à la retraite par capitalisation”, c’est-à-dire s’autofinancer une retraite auprès d’organismes privés. De plus, elle dénonce le fait que le gouvernement n’est pas en transparence avec ses chiffres en ne publiant aucune simulation.
Un régime universel ?
Le gouvernement défend un régime universel qui s’appliquerait à tout le monde pour effacer les différences entre corps. Mais Agathe ajoute que “la vérité c’est qu’on aura tous un âge d’équilibre différent, basé sur l’espérance de vie. Son objectif, c’est de voir combien il y a d’argent à dépenser pour une génération qui va partir à la retraite et puis de voir combien d’années ces gens là vont vivre. Selon ça, on va ajuster le niveau des pensions”, toujours par rapport à ce plafond.
“Universel mais pas uniforme” se défend le gouvernement qui enchaîne les accords par branche professionnelle.“Il y a eu des mobilisations tellement fortes que le gouvernement a du faire des concessions à des corps spécifiques, au nombre de 8” explicite Agathe. Les membres actifs de la police comptent parmi ces corps d’exception. Un choix qui n’est pas anodin, dans la mesure “où l’on peut faire des cadeaux à la police pour ne pas qu’ils rejoignent eux-mêmes” les mobilisations.
Retraite minimum : pas de pitié pour les précaires
Autre argument du gouvernement : la garantie d’une retraite minimum à 1000 euros. Une enveloppe obtenue seulement pour une carrière complète. Ce dispositif exclut de fait celleux, plus précaires, qui connaissent des temps de pause dans leur parcours professionnel. Ces nouvelles règles de calcul individualisées affecteront surtout les femmes, plus enclines à accepter des temps partiels et à s’arrêter pour élever des enfants. Il en est de même pour les intérimaires enchaînant parfois difficilement les contrats. Agathe dénonce un système injuste pour tout.es les précaires.
De plus, Agathe parle d’une “entourloupe” du gouvernement sur cette pension minimum: pour en bénéficier, il faut “43 annuités. Donc on ré-injecte des notions du système actuel. Le gouvernement pourrait le faire maintenant s’il le voulait. En plus, il y a une obligation depuis les années 2000 avec une loi qui devait garantir 85% du Smic”.
L’espérance de vie en bonne santé stagne à 63 ans
Le gouvernement justifie la réforme des retraites par l’allongement de l’espérance de vie. Travailler plus longtemps deviendrait alors logique si la durée de vie s’étend. Mais à quel prix ? “Quand on sait que l’espérance de vie en bonne santé stagne à 63 ans, est-ce réellement possible de travailler plus longtemps ?” s’interroge la militante. “Il faut se poser la question des conditions de travail”. L’enjeu de la pénibilité au travail est sur toutes les lèvres des grévistes croisé.es au fil des mobilisations. “Il faut voir les gens qui jettent leurs outils de travail. C’est vraiment fort comme symbole” décrit Agathe qui attend que le débat “explose” dans l’espace public. De son côté, le gouvernement tient également à “en rediscuter”.
Un entretien réalisé par Vic. Photo de Une : Pierre-Olivier Chaput
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