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Blocage des dépôts de bus RATP contre la réforme des retraites

Au centre de bus RATP Pleyel, la solidarité en actes des grévistes

Saint-Denis s’éveille encore, alors que sur le centre de bus RATP de Pleyel, l’aube n’est toujours pas levée. Lundi 6 janvier, au 33e jour de grève, plusieurs dizaines de grévistes et des membres de l’Interprofessionnelle sont encore présent.e.s sur le piquet de grève pour s’opposer à la réforme des retraites. Une solidarité déterminée, en actes, qui réunit cheminot.es, machinistes, étudiant.es et enseignant.es.

Il est tôt ce matin-là, lorsque la police intervient sur le piquet de grève du dépôt de bus. Des face-à-face musclés, les grévistes et la police en ont déjà eu à plusieurs reprises, depuis le 5 décembre. “Le 17 décembre, ça a été très violent ici. Les keufs ont foncé dans le tas comme des brutes et blessé au visage deux camarades”, raconte Alexis, figure syndicale du dépôt depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites.

Devant lui, une quinzaine de policiers s’avance. Pas de quoi entamer la détermination des grévistes les plus mobilisés. “On va peut-être devoir approcher un peu si ça chauffe”, souffle le machiniste receveur sur la ligne de bus 85. Ce jour-là, la police n’interviendra pas. “Le piquet de grève, ça permet de se retrouver pour échanger, de voter la reconduction de la grève et de tenir des assemblées générales. Ça permet aussi de passer un moment convivial pour animer la grève et de rencontrer des soutiens, c’est important.”

Bloquer les dépôts de bus et organiser la grève en action 

Chaque matin, des soutiens venus de différents secteurs apportent une aide morale et logistique aux grévistes de la RATP en bloquant les rares bus qui circulent. “Bloquer les transports, ça empêche l’ensemble des travailleuses et des travailleurs de se rendre sur le lieu de travail. Ça participe au blocage de l’économie”, nous explique Geoffrey, enseignant à Saint-Denis et syndicaliste à SUD-Education 93. Les grévistes RATP du dépôt, eux, risquent de grosses sanctions s’ils bloquent la circulation de leurs bus, comme l’explique Bernard, 35 ans, emmitouflé dans sa parka noir. Ce machiniste au centre de bus de Pleyel désigne un huissier de justice appelé par la direction. “La direction surveille et traque le moindre agent qui ferait un petit geste de blocage envers ses bus […] pour faire tomber les sanctions et incriminer tous ceux qui se battent pour quelque chose de juste”.

“En général, quand on arrive, on essaie de voir ce qui est stratégique sur le moment : discuter ou résister aux flics”, explique Gilbert. A quelques pas, des grévistes s’amassent autour d’un poêle où brûlent des morceaux de palettes et de sapins. Par grappe, ils discutent entre eux de la mobilisation contre la réforme des retraites d’Emmanuel Macron et du blocage. “Certains jours, il n’y a pas eu de bus qui a pu sortir avant 7 h 30 ou 8 h du matin.” Lui et Sabrina sont en grève reconductible depuis le 5 décembre. “Nous, on n’est pas à 32 jours de grève, parce qu’on sort de vacances scolaires”, précise Gilbert. Cet instituteur à l’école Rachel Carson de Saint-Denis insiste sur l’importance de rejoindre des secteurs mobilisés en continu depuis le premier jour. “C’est aussi le besoin de montrer qu’il y a des choses qui se passent, qu’il y a des actions. C’est une grève en action”, abonde Sabrina.

Grévistes et non-grévistes : des rapports plus compliqués qu’il n’y parait

Le taux de grévistes à la RATP reste particulièrement élevé, malgré la durée exceptionnelle du mouvement. Et le machiniste souhaite mettre en garde contre les chiffres revendiqués par la direction. “Il y a une partie des non-grévistes qui sont en grève perlée. Ils travaillent un jour avant ou après leur période de repos pour se faire payer leur jour de repos”, détaille Bernard. Il y a celles et ceux qui optent pour une grève tournante. Et puis, il y a celles et ceux qui viennent juste de rejoindre l’entreprise. “La majeure partie des gens qui travaillent, ce sont des agents qui sont en période de ‘commissionnement’, c’est-à-dire qu’ils sont en période d’essai. Ils ne peuvent pas faire grève, sinon, ils sont virés parce qu’ils ne sont pas titularisés…” Tou.tes ne sont pourtant pas convaincu.es par la grève, ni par l’opposition à la réforme. “Il y a aussi une frange qui veut bosser”, concède le machiniste. “Avec eux, ça se passe dans le respect. On leur dit rien et on les calcule pas : c’est pas la peine de prêcher des âmes égarées.”

Blocage des dépôts de bus RATP contre la réforme des retraites
Au centre de bus Pleyel, à Saint-Denis, grévistes et soutiens sont régulièrement encadré.e.s par les forces de police sur le piquet de grève. Photographie : Pierre-Louis Colin pour Radio Parleur.

“L’Interpro” : un moyen central d’organisation de la lutte

Depuis le début du mouvement, des piquets de grève s’organisent régulièrement devant les dépôts de Nanterre, Asnières, Châtillon et Montrouge. Pour Geoffrey, “l’appel à rejoindre les piquets de grève pour apporter un soutien moral et logistique émane de l’AG interprofessionnelle de Saint-Denis”. Devenue un moyen central d’organisation de la lutte dans de nombreuses villes depuis le 5 décembre, ces assemblées comprennent des personnes syndiqué.es et non-syndiqué.es. “L’assemblée réunit un ensemble de personnes habitant et travaillant à Saint-Denis”, précise Geoffrey. Certain.es sont salarié.es, d’autres ne le sont pas. L’objectif : réunir les différents secteurs mobilisés contre le projet de loi, au-delà des structures syndicales et politiques traditionnelles. Il s’agit aussi de soulager des secteurs engagés en continu depuis le début du mouvement. Le collectif discute localement de la stratégie à adopter sur le terrain. Ils coordonnent des actions conjointes et procèdent aussi à la redistribution de la caisse de grève. “Ici, à Pleyel comme à Asnières, ça permet d’avoir un piquet de grève bien solide et d’être nombreux le matin”, sourit Bernard.

Après plus d’un mois de mobilisation, la fatigue se fait pourtant sentir. “On a le soutien des étudiants et du corps enseignant”, salue le machiniste, pour qui le blocage des dépôts serait impossible sans cette aide bienvenue. “La moitié est machiniste et l’autre moitié, ce sont des gens venus nous soutenir. Ça nous motive et ça nous remotive ! Et ça montre qu’on est sur la bonne voie pour la rentrée ! On lâchera rien jusqu’au retrait de la réforme.”

“Il faut que les étudiants rejoignent le mouvement”

Mélina étudie à Nanterre, où elle est en licence 3. Elle habite à côté du centre de bus Pleyel : “En tant qu’étudiante, c’est important d’être là, psychologiquement et pour faire la masse. Il faut montrer qu’on est là. “Un soutien qui ne s’arrête pas aux seuls blocages des centres économiques. “On a aussi proposé des gardes d’enfants, si les grévistes en avaient besoin.”

Cette solidarité peut-elle tenir face au bras de fer engagé par le gouvernement ? Sur le piquet de grève, tou.tes sont du même avis : « nous ne gagnerons pas seuls. » Le mouvement, s’il a tenu jusqu’à présent, doit s’étendre aux autres secteurs de la société afin de faire reculer le gouvernement. “Il faut que les étudiants rejoignent le mouvement” assure Léo. Cet étudiant à l’université Paris 8 Saint-Denis a d’ores et déjà prévu de rejoindre les opérations de tractage ciblés qui s’organisent. Il espère convaincre et inciter les autres secteurs à rejoindre la grève. 

 

Reportage réalisé par Pierre-Louis Colin.

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