Menacé de licenciement pour s’être agenouillé lors de son entretien annuel, le syndicaliste Sud Rail Eric Bezou est l’un des symboles d’une répression qui veut étouffer toute tentative de contestation. L’homme paie en effet son engagement auprès des salariés de la SNCF, touchés par une vague de suicides.
Gare Saint Lazare, jeudi après-midi 23 mai, un soleil de plomb tape sur la cour du Havre. Eric Bezou arrive, chapeau de paille sur la tête. Ses camarades Sud Rail l’attendent et ils ne sont pas les seuls. La CGT, Force Ouvrière, les personnels d’hôpitaux, les postiers du 92, des enseignants, étudiants, Gilets Jaunes, la Compagnie de théâtre Jolie Môme sont également présent.e.s. « Tous les copains sont là, c’est intersyndical ! » se réjouit Eric. Il souffle comme un air de convergence autour de la répression syndicale.
Éric Bezou, c’est un grand type, cheminot depuis 27 ans et chef de quai à la gare de Mantes-la-Jolie depuis 12 ans. Il s’apprête ce jour-là, jeudi 23 mai, à passer en conseil de discipline. La direction l’accuse d’être « anxiogène ». Après avoir pour la troisième année consécutive, le 20 mars dernier, essuyé le refus de sa promotion, Eric Bezou s’est mis à genoux devant ses responsables. « Pour moi c’était demander si c’était cela qu’on attendait, une posture de la soumission ». Une soumission qu’il considère « généralisée » dans la société, faisant référence aux lycéens de Mantes-la-Jolie.
Le procès de vingt ans de syndicalisme ?
Pour s’être agenouillé, Éric Bezou passe en conseil de discipline. Pour lui, il ne s’agit pas d’autre chose que « du procès politique de ses vingt ans de syndicalisme. On veut me décerner un césar d’honneur pour l’ensemble de mon œuvre c’est-à-dire qu’on veut me virer ! ». Le syndicaliste est remarqué par la direction depuis son rôle au côté des salarié.es de la sous-traitance, des étudiant.es dans le cadre des emplois jeunes, et dans la révélation du scandale des trente-quatre maître-chien sans papier. Depuis 2016, il livre un nouveau combat syndical : faire entendre à la direction la détresse et la souffrance de ses collègues, depuis que la région de Saint-Lazare est devenue la zone test d’un nouveau management.
Pour Danielle Simonnet (LFI) conseillère à la ville de Paris, c’est bien parce que « Éric Bezou est syndicaliste et parce qu’il se bat, qu’il est solidaire des siens et qu’il refuse de se soumettre au management monstrueux de la SNCF que la direction le menace de licenciement ». Une situation qui est loin d’être inédite. Danielle Simonnet fait référence à deux agents de la RATP accusés « d’harcèlement moral d’ambiance », eux-aussi menacés de licenciement. A la tribune où se succèdent les prises de parole, Éric Bezou tient lui aussi à rappeler qu’il n’est pas le seul : plus de cinq syndicalistes subissent la même procédure. Parmi-eux, son camarade Mouloud Sahraoui, secrétaire général CGT Geodis-Calberson, filiale de la SNCF.
La privatisation en cause ?
D’après Éric Bezou, le nouveau plan de management est en cause. Il se traduit par la volonté « d’un gain de productivité » et l’ouverture à la concurrence. Il vise à pousser vers la sortie les travailleur.euses handicapé.es, les parents isolés « moins flexibles sur les horaires », les cheminots sous statut « remplacés par des intérims et des CDD» et surtout les délégués syndicaux. Ces derniers sont « les trouble fêtes, les cailloux dans la chaussure qu’on veut faire partir en premier ». Éric cite aussi l’exemple de deux employés handicapés, restés sans poste attribués et licenciés en 2018. « C’est une situation à la France Télécom. Il y a des suicides, des maladies professionnelles, les dépressions et des agents qui finissent en psychiatrie. Il y a une souffrance énorme aujourd’hui ».
Une souffrance qui pousse au suicide dont Mediapart révèle l’ampleur. 57 agents de la SNCF se seraient donnés la mort en 2017 selon un décompte de la CGT. Audrey Vernon, autre personnalité présente ce jour-là, se souvient particulièrement d’Edouard Postal « un cheminot harcelé par la direction. Il s’est suicidé gare Saint-Lazare, sur le quai numéro 1, en mettant sa tête sur les rails ». À l’époque intervenante sur France inter, elle avait écrit un texte « Edouard ou la mort d’un cheminot » qui avait été dépublié du site de la radio. Quelques semaines plus tard, la comédienne humoriste voit sa rupture de contrat signifiée…Elle constate amèrement que la mort d’un cheminot fait rarement plus que l’objet d’une brève.
Usagère du train, Audrey Vernon est confrontée à la dégradation des services : elle a observé la suppression de postes et la fermeture de lignes. Elle ajoute que les services publics et le profit « ce sont deux mondes qui n’ont pas la même logique. L’un tend au bien-être des usagers, l’autre à la rentabilité ». Enceinte jusqu’au cou et droite dans ses bottines, la comédienne lit à la demande d’Éric un poème de Victor Serge :
« Il en faudra du temps, des chairs, de l’esprit des techniques, il en faudra, c’est sûr :
soyons durs pour longtemps.
(Soyez durs après nous, vous autres ! Et passez la consigne jusqu’à la fin des temps !) »
Il y a bien une consigne qui circule ce jour-là comme un écho au procès France Télécom. Un souhait : « Pepy au tribunal et Éric en liberté ».
Contactée par Radio Parleur, la direction de la SNCF n’a pas souhaité commenter davantage l’affaire. « L’instruction est en cours, il s’agit d’un dossier disciplinaire confidentiel ». Elle n’a pas communiqué la date de la décision finale quant à la radiation ou non d’Éric Bezou.
Un reportage de Scarlett Bain