Le Grand débat, gadget politique ou outil démocratique ? Alors qu’Emmanuel Macron devrait s’exprimer dans les prochains jours sur les suites du Grand débat, Radio Parleur a rencontré Julien Talpin, chercheur en sciences politiques au Centre d’études et de recherches administratives (CERAPS), qui travaille sur l’engagement et la participation dans les quartiers populaires, et notamment sur les pratiques de community organizing.

Julien Talpin  chargé de recherches en sciences politiques au CERAPS, unité mixte de l’Université de Lille 2 et du CNRS

Julien Talpin est chargé de recherches en sciences politiques au CERAPS, unité mixte de l’Université de Lille 2 et du CNRS. Sur ces thèmes de prédilections, il publie en 2016 aux éditions Raisons d’agir : Community Organizing – de l’émeute à l’alliance des classes populaires aux États-Unis. Un titre évocateur qui résonne de façon très actuelle en France.

Gilets jaunes / Grand débat : où sont les quartiers populaires ?

La situation sociale s’est aggravée ces ­dernières années dans les quartiers populaires, où le taux de chômage atteint près de 23,5 % dans les zones prioritaires, selon le rapport 2017 de l’Observatoire national de la ­politique de la ville. Les acteurs associatifs pointent un abandon des services de l’État, décrit dans notre émission “Le Grand Soir ou Jamais” en juin 2018. Les revendications sociales et économiques des Gilets Jaunes pourraient, en principe, favoriser une convergence avec ces populations. Les habitant.es des quartiers populaires ne se sont pas non plus. emparé.es du Grand débat. Ils n’ont pas été plus nombreux à rejoindre le mouvement jaune fluo, exceptées quelques initiatives militantes. Le comité Vérité et Justice pour Adama, notamment, a appelé à des rassemblements réguliers, depuis la gare Saint-Lazare.

Peu de rassemblements ont eu lieu au pied des tours, peu d’habitants se sont investis dans ce mouvement, constate le chercheur. Cependant, une réelle sympathie du côté des quartiers populaires a existé. « Il y a eu des débats », estime Julien Talpin. Concernant le mouvement social en cours, « il y a une grande désillusion quant à la capacité de l’action collective, y compris des manifestations, à faire changer les choses. Et plus encore à l’égard des mécanismes de la démocratie participative ». Cette désillusion ne vient pas de nulle part. « Depuis les années 80, les quartiers populaires ont été l’un des laboratoires du développement de la démocratie participative, via la politique de la ville et la rénovation urbaine avec, au final, peu de changements. Et beaucoup en sont sortis déçus. » L’une des différences mises en avant par le chercheur avec les États-Unis, où « des mobilisations de terrain très importantes ont été assurées par les associations communautaires. Elles ont investi des mécanismes de référendum populaire avec de vraies avancées sociales ».

Travailler à ce que les habitant.e.s se sentent autorisé.e.s à participer

En 20 ans, la ville de Los Angeles est passée de modèle des inégalités existantes aux États-Unis à un modèle en matière de community organizing. Différentes organisations (syndicales, communautaires, etc.) travaillaient déjà ensemble, avant 1992, mais les émeutes ont été un tournant. Des organisations communautaires ont mobilisé et unifié les classes populaires autour d’intérêts communs (logement, emplois, etc.), transcendant ainsi des clivages historiques (ethno-raciaux, par exemple). L’exemple de trois d’entre elles permet de comprendre ce qui est nécessaire pour permettre aux habitant.e.s de développer du pouvoir d’agir (empowerment). Certaines s’investissent politiquement, d’autres se positionnent comme contre-pouvoir. L’Histoire des luttes ouvrières et l’engouement pour l’empowerment montrent que le community organizing pourrait fonctionner en France, en nourrissant et en réanimant notamment les organisations syndicales et politiques de gauche.

De la même façon, l’expérience californienne du Référendum d’initiative citoyenne (RIC) pourrait inspirer ceux qui le plébiscitent et rassurer ceux qui le décrient. Julien Talpin précise quelques raisons de ce rejet. Sans occulter le fait que le RIC, précédé d’une campagne référendaire, serait un grand moment de démocratie.

Pour compléter et aller plus loin :
https://observdebats.hypotheses.org/

Un entretien réalisé par Mahel.