L’augmentation des frais d’inscription à l’université pour les extra-communautaires (non-européens) peine à mobiliser. Ce projet de réforme baptisé “Bienvenue en France” pourrait préfigurer, selon ses opposants, une hausse généralisée pour tous les étudiant.e.s.
Université Paris Nanterre, le 5 février, la vie suit son cours. Les étudiant.e.s déambulent dans le hall, déjeunent assis par terre, discutent et rigolent. Pendant ce temps, certain.e.s investissent par grappe la salle de l’assemblée générale. D’autres événements de ce type se tiennent dans de nombreuses facs françaises. Des AG qui précédent l’appel à la grève générale, lancé par la CGT le jour-même. Pour les étudiant.e.s mobilisé.e.s, la principale cause de la colère, c’est la hausse annoncée des frais d’inscriptions pour les extra-communautaire. Une mesure prévue dans un projet ironiquement nommé “Bienvenue en France”.
À la rentrée prochaine, il leur faudra débourser 2 270 euros pour une licence au lieu de 170 euros actuellement et pour un master 3 770 euros au lieu de 243 euros. Dès cette annonce faite le 17 novembre par le Premier ministre Edouard Philippe, des étudiant.e.s ont dénoncé une mesure “raciste et xénophobe”, comme on vous l’expliquait dans un précédent reportage dans Radio Parleur.
Retour au 5 février. Il est 12h30, l’AG débute à Nanterre. Les organisateurs et organisatrices font grises mines : seulement 110 étudiant.e.s sont présent.e.s. Tour à tour, les inscrit.e.s prennent la parole. Ils et elles déplorent la faiblesse de la mobilisation étudiante contre le projet et dressent le bilan politique avant de s’interroger sur les actions à mener pour sensibiliser l’ensemble de la communauté étudiante. Hugo Harari-Kermadec est économiste, maître de conférences à l’ENS Paris-Saclay. Spécialiste de la question des frais d’inscription, nous l’avions déjà interrogé à ce sujet dans Radio Parleur. En inaugurant cette assemblée générale, il prévient : “cette loi a pour but de s’appliquer sur le long terme à tous et toutes.”
La mobilisation des président.e.s d’universités, une opposition “surprenante et inédite”.
Le 10 janvier dernier, la Conférence des présidents d’université (CPU) demandait au gouvernement de suspendre cette hausse. Dix-sept universités ont annoncé qu’elles n’appliqueraient pas cette mesure à la rentrée prochaine. Parmi elles : Clermont-Auvergne, Aix-Marseille, Toulouse Jean-Jaurès, Lyon-II, Nanterre, Rennes-II, Angers, Le Mans, Tours, Rennes-I, Caen, Rouen-Normandie, Strasbourg, Lorraine, Grenoble, Paris-Sud et l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)…
Hugo Harari-Kermadec s’étonne de “l’opposition de la CPU, qui est une sorte de MEDEF des universités. C’est très surprenant et inédit”. Mais l’annulation de cette mesure ne se fera pas sans la mobilisation étudiante et il insiste sur ce point auprès de celles et ceux réunis à Nanterre : “Aujourd’hui, on a un président sur quatre qui a pris position contre la hausse des frais d’inscription. Si on avait un étudiant et une étudiante sur quatre ça ferait 500 000 personnes qui seraient en manifestation cet après-midi”.
Une mobilisation étudiante affaiblie ?
Il est vrai que le cortège étudiant était épars dans cette manifestation marquant le premier rapprochement entre Gilets Jaunes et syndicats. Dans les rangs, des enseignant.e.s confient être plus nombreux.euses que les étudiant.e.s. Ariane Ghirardello, maîtresse de conférence à l’université Paris XII, explique que les plus concerné.e.s par cette mesure “ne peuvent pas venir en manifestation, parce que concrètement ce sont des étranger.e.s, alors ils ont peurs d’être arrêté.e.s. Puis, il y a celles et ceux qui ne se sentent pas visé.e.s et qui donnent raison à la devise “diviser pour mieux régner”. ” Aujourd’hui on augmente les frais d’inscription pour les étrangers, on segmente pour ne pas avoir une confrontation d’ensemble avec les étudiants”, analyse Hugo Harari-Kermadec avant d’ajouter : “c’est l’élément principal de la stratégie des quatre derniers gouvernements pour faire passer la hausse des frais d’inscription”.
“Un engagement politique” pour les présidents, un combat d’avenir pour les étudiants
Les présidents d’universités s’opposant à ces augmentations ne pourront pas tenir cette position sur le long terme car cette exonération est impossible à mettre en place sur le plan juridique et financier. Car “exonérer signifie définir des cas particuliers” et les universités ne pourront pas se priver longtemps ” de quelques centaines de milliers ou de quelques millions d’euros par engagement politique”. Pour Judith, étudiante australienne en licence de philosophie à Paris III, il était important de descendre dans la rue ce jour-là pour lutter contre un projet qui, selon elle, changera radicalement la société française. Cette jeune-femme de 21 ans confie : “Je viens d’un pays où l’éducation a été marchandisée avant que je sois née et si j’avais été vivante quand ces réformes sont passées, je me serais battue. Ma génération est vraiment le résultat de ce système qu’Emmanuel Macron veut mettre en place et je peux vous dire que tous les étudiants australiens quand ils et elles terminent leurs études, ont une dette de 50 000 dollars. On commence nos vies avec cette dette”.
Les étudiant.e.s mobilisé.e.s conscients.e.s que l’annulation de cette loi ne se fera pas sans eux, l’autonomie des présidents d’université étant toute relative, multiplient les AG depuis cette journée du 5 février. Treize associations étudiantes organisent une lutte en série. L’Acte I « La jeunesse passe à l’offensive » se déroulera ce jeudi, le 14 février, place des invalides à Paris.
Reportage réalisé par Scarlett Bain