Pas un mot. Depuis quelques mois, une omerta semble entourer les 102 interpellés – dont 40 mineurs- du lycée parisien Arago, arrêtés suite à une manifestation de la fonction publique le 22 mai 2018. Pourtant, depuis le mois d’octobre et ce jusqu’au 4 décembre 2018, certains accusés essuient les bancs du tribunal de Grande Instance de Paris. Stuv, photographe du collectif LaMeute, présent le jour de l’arrestation massive, revient pour nous sur cette affaire complexe entachée d’irrégularités.

Au printemps dernier, alors que la manifestation unitaire du 22 mai se termine place de la Nation, les lycéens, rassemblés contre la loi ORE, s’engouffrent dans le lycée Arago, non loin de là. Dans l’attente de leurs résultats sur Parcoursup qui doivent tomber ce jour-là, ils décident d’occuper les bâtiments pour tenir une assemblée générale. Très vite, s’en suit une « intervention musclée » des forces de police pour déloger les jeunes manifestants. Stuv, photographe indépendant venu couvrir la mobilisation et inculpé au même titre que les lycéens, décrit les conditions de cette arrestation massive. “On a été laissés 5h et demi sur le parking de ce commissariat, dans un bus fermé […] Nous n’avions pas d’eau, pas de nourriture […] on a été sortis du bus et parqués comme des animaux”. Suite à une attente interminable et 48h de garde-à-vue dans des conditions jugées inadmissibles, des mineur.es sont mis.es en examen, des contrôles judiciaires tombent quelques jours avant le bac pour celles et ceux dont c’était parfois leur première manifestation. Les étudiants, parents et avocats font rapidement bloc pour dénoncer une répression jugée disproportionnée et abusive.

Enlisement et irrégularités

Les jeunes inculpé.es passent alors en comparution pour “intrusion non autorisée dans un établissement scolaire commise en réunion dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement” et “participation à un groupement en vue de commettre des violences ou dégradations”. De longs motifs (apparus en 2010 sous la juridiction de la droite sarkozyste) qui semblent finalement juger une “intention de” plus que des actes. En face, les avocats de la défense ne manquent pas de rappeler le caractère politique de ces arrestations et plaident dans un premier temps l’incompétence de la Cour pour les juger.

Pour une occupation d’à peine une heure et une centaine d’interpellations, l’affaire s’éternise pendant des mois et les audiences se multiplient. La procédure semble se noyer devant le nombre de prévenus. Pour Stuv, les policiers “ont interpellé beaucoup plus de monde que ce à quoi ils s’attendaient et se sont embourbés dans une procédure longue et compliquée”. Un cheminement judiciaire truffé d’irrégularités avec des dossiers globalement vides. Depuis le 15 juin 2018, les avocats font face à des fiches d’interpellations non remplies, des erreurs dans les horaires et lieux d’interpellations, des auditions questionnant les convictions politiques des inculpé.es, des procès-verbaux non versés au dossier. En octobre, ils plaident en bloc la nullité de chacun des éléments de l’affaire. La procureure, forcée de reconnaître que “les procédures ne sont pas satisfaisantes” et que “ces gardes-à-vue ne sont pas un modèle du genre”, les considère malgré tout comme régulières et précise qu’aucune nullité ne devrait en résulter.

Soutiens muets et incertitudes

Au printemps dernier, ce “coup de filet” massif a fait beaucoup de bruit et les médias se sont emparés du sujet. Des tribunes ont été publiées, le défenseur des droits a été saisi, un collectif de parents a organisé des rondes hebdomadaires autour de l’établissement. Mais l’été semble avoir emporté avec lui la révolte du printemps. Si un “banquet des libertés” s’est tenu à la rentrée, le 19 septembre, devant le lycée Arago, les rondes hebdomadaires ont cessé, les inculpés ne communiquent plus et le sujet semble tombé dans l’oubli médiatique. La parole publique sur le sort de ces jeunes manifestants s’est tarie, à tel point qu’il s’avère difficile d’obtenir aujourd’hui des informations précises sur la suite des événements. Pourtant, la justice suit son cours : trois audiences ont eu lieu en octobre, une autre est attendue le 4 décembre 2018. Les délibérés suivront jusqu’en décembre 2019. Autant dire que la bataille est loin d’être finie.