Dimanche 15 avril, des milliers de personnes se sont rassemblées sur la Zone à Défendre de Notre-Dame-des-Landes pour répondre à l’appel à soutien lancé par les occupants. Objectif : rebâtir ce qui a été détruit les jours précédents. Ce rassemblement pacifique a été néanmoins émaillée par les affrontements entre gendarmes mobiles et zadistes qui ont duré jusque tard dans la journée. Revivez les temps forts de ce rassemblement de soutien avec notre photographe Sylvain Lefeuvre, qui a suivi les événements entre fête et affrontements.

Notre-Dame-des-Landes : au coeur du bocage. Sylvain Lefeuvre

8h. Au petit matin, celles et ceux qui dorment sur la Zad et dans ses alentours sont réveillés par les détonations qui se font entendre au loin. Radio Klaxon, la radio pirate de la Zad, signale des mouvements de gendarmes près du carrefour des Saulces. La Zad est coupée en deux par les forces de police. Au Haut Fay, un hangar situé au Nord Est de la Zad, les départs s’organisent pour aller juger de la situation sur place et éventuellement prêter main-forte. Jusqu’au bout, certains ont voulu croire que la préfecture et l’État ne s’opposerait pas au rassemblement organisé ce dimanche. Objectif de ce nouveau déploiement de forces : empêcher la reconstruction des habitations détruites et maintenir les départementales qui traversent la Zad dégagées.

Résistance à la destruction. Sylvain Lefeuvre

10h. Par le Chêne des Perrières, la Maison Rose ou Rohanne, les soutiens commencent à arriver par centaines sur la Zad malgré les contrôles d’identité et les fouilles de véhicules mis en place par la gendarmerie sur les différents lieux d’accès autour de la zone. Certains ont amené avec eux des matériaux de reconstruction, comme des palettes de bois, qui sont systématiquement confisqués par les gendarmes lors des contrôles. Pour celles et ceux qui arrivent à faire passer du matériel, une chaîne se met en place aux différentes barricades qui protègent les accès à la Zad. On achemine des planches et des palettes. Mais aussi des provisions, du matériel médical et des paires de chaussettes sèches. Le rassemblement accueille des personnes de tous âges, jeunes et vieux ont fait le déplacement. Certain.es ont également participé à la manifestation qui s’est déroulé la veille à Nantes. Au-dessus d’eux, le vrombissement de l’hélicoptère de la gendarmerie plane au-dessus des têtes et se mêle aux chants des oiseaux.

Force brute. Sylvain Lefeuvre

10h30. Le carrefour de la Saulce est à présent occupé par les gendarmes, qui s’attaquent à la barricade des Lascars près du lieu-dit de la Wardine. Nous sommes au coeur de la Zad, qui se trouve alors scindée en deux. Au même moment, le lieu-dit La Grée est encerclé par la gendarmerie. Beaucoup craignent une nouvelle journée d’affrontements alors que le rassemblement prévu ce dimanche est censé accueillir des familles et se veut pacifique. Alexandre, un habitant de la Zad âgé s’avance vers celles et ceux qui tiennent la barricade des Lascars face aux gendarmes. ll les convint de cesser les tirs de projectiles, puis négocie une trêve avec un officier de gendarmerie. Celle-ci va durer une bonne partie de l’après-midi.

D’une haie à l’autre : deux visions opposées. Photo : Sylvain Lefeuvre

11h30. Sitôt la présence des gendarmes signalée, des groupes se sont formés pour aller prêter main-forte à celles et ceux qui tiennent depuis l’aube la barricade des Lascars. A la lisière du bois, un face-à-face commence avec les forces de l’ordre. Le champ occupé par les gendarmes devait à l’origine accueillir le rassemblement de ce dimanche. Ceux-ci font désormais face à une foule calme et non violente.

La brigade des clowns activistes est sur la Zad. Photo : Sylvain Lefeuvre.

12h. Une tentative de dialogue est parfois tentée par quelques zadistes en direction des gendarmes, qui restent inflexibles. Aux détours de quelques conversations ainsi nouées, la colère des soutiens venus sur la Zad se fait parfois sentir. Amandine a 29 ans, et elle est agricultrice. Elle est venue dans la Zad pour la seconde fois : “Aujourd’hui, c’était un appel à mobilisation de la part des zadistes pour reconstruire, un appel pacifique. Et c’est encore la guerre ! Il faut qu’ils partent, ils n’ont rien à faire là, à part détruire et encore détruire et toujours détruire !”

Rentrer dans la danse. Photo : Sylvain Lefeuvre.

14h. Une accalmie toute relative semble s’être abattue aux Lascars et dans les environs. Ils sont à présent des centaines, massés dans le sous-bois et dans le champs à venir voir la situation et à faire face aux gendarmes. Un accordéon joue un air de bal et des couples se forment pour danser une valse musette sous le regard placide des gendarmes. Quelques militants de la Brigade des Clowns Activistes offrent des fleurs aux gendarmes et tentent de détendre l’atmosphère avec des câlins et des blagues. Le nez rouge, Garonette vient de Toulouse et se tient entre deux gardes mobiles, ses “collègues” : “Ce matin on n’aurait pas pu noué de dialogue, ils nous balançaient beaucoup de grenades lacrymo, j’avais peur. Maintenant c’est plus calme, on arrive à tourner à la dérision plein d’idées reçues sur les Zadistes. Le problème ce n’est pas les policiers, c’est l’État.”

Tentative de dialogue sur la Zad. Photo : Sylvain Lefeuvre

14h30. Selon que k’on se trouve à d’une extrémité à l’autre de la ligne de front, on découvre des situations et des ambiances différentes. Dans le sous-bois, quelques musiciens de la Fanfare Invisible ont fait le déplacement jusqu’à Notre-Dame-des-Landes et régalent l’assistance d’un répertoire de chansons militantes à l’aide d’un ukulélé. L’heure est à l’inconnu et chacun ignore si le rassemblement initialement prévu dans le champ qu’occupent alors les gendarmes pourra finalement avoir lieu.

Reconstruire la barricade au son d’une fanfare. Photo : Sylvain Lefeuvre.

15h. Tandis que des centaines d’opposants s’interposent pacifiquement face aux gendarmes sur la route et dans le champ, plusieurs centaines de personnes s’emploient à renforcer la barricade des Lascars. Derrière eux, une batucada enchaîne les rythmes toniques et certains se joignent à elles en frappant en rythme sur des morceaux de ferrailles de la barricade. A deux kilomètres de là, des milliers de personnes se sont rassemblées à Bellevue et s’apprêtent à rejoindre la zone. L’effervescence règne et chacun s’active, tandis que les slogans crépitent : “Nous sommes tous, des enfants de la Zad !” et “La Zad elle est à qui ? Elle est à nous !”

Reconstruction d’une charpente à Notre-Dame-des-Landes. Photo : Sylvain Lefeuvre.

15h30. A Bellevue, des milliers de personnes ont déplanté les bâtons plantés près de Bellevue le 8 octobre 2016 en signe de défense de la Zad. Le rendez-vous qui devait avoir lieu au Gourbi aura finalement lieu dans un champ à l’ouest de la zone de la Wardine, près du lieu-dit le Kazh-Koad, seule partie accessible et inoccupée par les gendarmes. Dans les champs alentours, quelques groupes s’installent et commencent à manger, parfois en famille. L’ambiance est calme de ce côté-ci aussi. Mais l’objectif reste le même : construire collectivement une halle au marché où seront mises en partage toutes les productions de la Zad et l’apporter le plus loin possible vers l’est, dès que le barrage des gendarmes sera levé.

A bouts de bras, les occupants transportent la charpente. Photo : Sylvain Lefeuvre.

16h. Une charpente à été construite le vendredi et le samedi précédent le rassemblement à partir de bois prélevé sur la Zad. Elle doit servir à l’édification de la nouvelle structure. Les charpentiers supervisent l’arrivée des poutres sur le champ et des manifestants se joignent à eux pour les aider à l’assembler. A quelques centaines de mètres de là, près de la barricade des Lascars, le face à face dure toujours et semble interminable lorsque soudain la gendarmerie se retire du champs pour se positionner vers le carrefour de la Saulce.

Les premières grenades lacrymogènes explosent. Photo : Sylvain Lefeuvre.

18h. Les gendarmes gazent les manifestants. Une partie de la foule se replie tandis que d’autres restent pour les affronter. Des jets de pierres, de pommes de pin, de cocktails incendiaires et de grenades lacrymogènes s’enchainent d’un côté à l’autre des haies qui bordent le champs précédemment occupé par les gendarmes. Un canon à eau est amené sur place et actionné par des CRS lorsque plusieurs dizaines de grenades dispersantes éclatent jusque dans le sous-bois, sifflent entre les branches et soulèvent des gerbes de terre jusqu’à deux ou trois mètres de hauteur au milieu des manifestants. Ce qui entraine un recul de ces derniers, dans le plus grand chaos. Dans la confusion, certains se prennent les pieds dans les branches éparpillées au sol et chutent, avant d’être relevés par d’autres opposants. La barricade des Lascars est un temps laissée sans défense et les gendarmes en profitent aussitôt pour tenter de la détruire à nouveau… avant de reculer devant le retour des Zadistes. Parmi ces derniers, on compte à la fin de la journée plusieurs dizaines de blessés. Visage masqué et lunettes de piscine pour se protéger de l’effet du gaz lacrymogène, Nicolas, 25 ans est venu avec ses ami, il nous raconte la scène :

Les gendarmes s’avancent et tentent en direction de la barricade des Lascars. Photo : Sylvain Lefeuvre.

20h. Les affrontements cessent finalement avec le retrait des gendarmes, qui reviennent sur leurs positions de la veille. Les zadistes quant à eux, mettent à profit ce gain de terrain et ce moment d’accalmie pour s’avancer jusqu’aux barricades précédemment détruites par les gendarmes et les rebâtir. A l’aide de tout ce qu’ils peuvent trouver et notamment d’un grand bloc de béton, ils édifient un barrage sur le carrefour de la Saulce. C’est une guerre d’usure, doublée d’une guerre de positions. Certains, éreintés, ont regagné le lieu-dit la Wardine pour s’y reposer et y manger. Alexandre, 34 ans, est étudiant et a participé à l’édification de la halle : “Ils sont repartis sur leurs positions, c’est calme maintenant. Mais demain, lorsque tous les gens qui sont venus participer au rassemblement aujourd’hui seront repartis chez eux, au boulot, les gendarmes reviendront. On risque de ne pas être assez pour les contenir. Au final, quoi qu’on fasse, on sait que s’ils le veulent les gendarmes peuvent tout détruire et qu’on ne pourra pas résister. Mais ça ne nous empêchera pas de lutter.”

Zad vaincra. Photo : Sylvain Lefeuvre.