Le documentaire aurait pu s’appeler « Les Insoumis », voire « La France Insoumise ». Mais c’est bien « L’insoumis » que le réalisateur Gilles Perret nous propose de suivre au plus près pendant une heure et demie. Un documentaire dense et une caméra fixée sur son personnage : Jean-Luc Mélenchon. En résulte un film fort, dessinant le portrait d’un homme au cœur d’une campagne hors normes, qui marqua un basculement politique historique pour la gauche française.

L’histoire de « L’insoumis » c’est d’abord celle d’une production compliquée. Comme le dit Gilles Perret, le réalisateur, « j’ai sous estimé la haine que suscite Jean-Luc Mélenchon. Il a fallu surmonter les obstacles les uns après les autres ». En commençant par la création : impossible en effet de trouver un producteur pour financer le film. C’est une souscription sur internet qui a permis de réunir la somme nécéssaire à sa réalisation.

La diffusion ensuite : « de nombreux programmateurs de cinéma art et essai ont refusé de le visionner ». A Paris, c’est le réseau des cinéma MK2 qui fait barrage. « Le programmateur était hyper motivé mais ses supérieurs ont bloqué le film », accuse Gilles Perret. A Marseille, dans la propre circonscription du député Jean-Luc Mélenchon, c’est le cinéma des Variétés qui déprogramme le film quelques jours précédant l’avant première. Le propriétaire explique qu’il « attend de pouvoir visionner le film, car la bande-annonce donne l’image d’un film de propagande. » Ironie du sort, après le refus de ce cinéma classé « art et essai », c’est le grand multiplex du groupe Pathé qui récupère l’avant première. Et fait salle comble.

Cette sortie mouvementée ne doit pas faire oublier le fond du sujet. Durant les deux derniers mois de la campagne présidentielle, Gilles Perret – notamment réalisateur de « Les Jours Heureux » (2013) et de « La sociale » (2016) – suit le candidat de La France Insoumise là où les journalistes ne vont jamais. Sa caméra est présente pendant les déplacements en train, les réunions stratégiques, ainsi que dans les coulisses des deux grands débats télévisées.

Un travail de l’intime qui, s’il est forcément empreint du point de vue de son sujet, parvient tout de même à éviter l’hagiographie. Il dévoile même, par instants, l’homme derrière le tribun. Rares sont les moments où Jean-Luc Mélenchon se livre devant une caméra. Ils sont d’autant plus précieux. Sur une terrasse à Rome, il dévoile son amour pour les pays latins et le monde méditerranéen. Dans un train, il raconte son attachement pour le Chili et l’impossibilité pour lui de pardonner, même plus de 40 ans après, ceux qui ont soutenu le régime de Pinochet et précipité la mort du président Salvador Allende.

Au-delà de ces échanges face caméra et des analyses souvent justes de Jean-Luc Mélenchon sur la campagne et la situation politique, c’est la dramaturgie de la présidentielle de 2017 qui ressort, portée par les images des meetings et des rassemblements. L’abandon de Francois Hollande, l’émergence d’Emmanuel Macron, les déboires judiciaires de François Fillon…. Cette élection n’a ressemblé à aucune autre dans le paysage politique contemporain et, c’est inscrit dans ces moments intenses, que Gilles Perret nous raconte Mélenchon et la campagne de la débrouille qui s’organise autour de lui. On retrouve dans ce récit le désormais célèbre meeting holographique, les discours sur l’économie de la mer, mais aussi les personnages-piliers de l’entourage du candidat, comme Sophia Chikirou, l’omniprésente directrice de communication, Alexis Corbière, le lieutenant politique ou Bastien Lachaud, le logisticien.

L’insoumis n’est cependant pas un documentaire sur la machine électorale. Les stratégies, les discours, les meetings passent au second plan – incroyable décorum du portrait d’un homme absorbé par la politique. On retrouve plutôt un personnage gouailleur et entier. Un militant de toujours qui se revendique comme « révolutionnaire » qui veut renverser le « système » et la « classe bourgeoise ». 

Au fil des images se dessinent les antagonistes de cette histoire vraie et étrangement, ils ne se nomment pas Emmanuel Macron ou François Fillon, des candidats souvent raillés mais toujours respectés par le leader des Insoumis. Les adversaires les plus méprisés se nomment France Télévision, le Journal du Dimanche ou les Echos… Des médias traditionnels perçus par Jean-Luc Mélenchon et ses proches comme des « nouveaux chiens de garde », incarnation du concept défini par Serge Halimi dans son livre éponyme, publié il y a plus de vingt ans. 

Tout au long du film, le candidat des Insoumis et ses soutiens s’opposent aux journalistes des médias traditionnels. Un accrochage à la sortie de l’émission « C à Vous » sur France 5, capté par Perret, illustre cette animosité. Jean-Luc Mélenchon quitte le plateau de tournage. Il est en colère, affirme être tombé dans un guet-apens tendu par le journaliste Patrick Cohen. Gilles Perret a choisi de reprendre dans son montage l’intégralité la séquence de l’émission ; chacun pourra se faire son opinion sur le travail de l’éditorialiste.

Enfin, c’est le souffle de la campagne de Jean-Luc Mélenchon qui émane de ce documentaire ; c’est son élan qui renaît à travers les images du film. Que l’on apprécie ou pas le personnage, le film témoigne de la mobilisation, de l’adhésion et de l’énergie qui ont porté cette candidature jusqu’à l’élimination au premier tour de la présidentielle, faute de quelques centaines de milliers de voix. Pour les soutiens de Mélenchon, « L’insoumis » leur rappelle qu’ils sont passés à deux doigts d’une accession historique au second tour de la présidentielle.

Trop proche de son sujet pour véritablement le critiquer, ce film ne réconciliera pas le candidat des Insoumis avec ses détracteurs. Il offre pourtant un point de vue inédit et passionnant sur ce moment charnière de l’histoire de la gauche française, ainsi que sur l’homme qui a incarné les espoirs d’une partie importante de ce bord politique.