Dans “L’infiltré”, le journaliste Emmanuel Fansten s’associe au lanceur d’alerte, Hubert Avoine, pour raconter l’histoire d’une police qui perd les pédales. Faire du chiffre en multipliant les kilos de drogues saisies, organiser un trafic d’ampleur pour mieux le réprimer : une machine infernale dénoncée par Hubert Avoine. Cet ancien informateur qui a opéré sous couverture au sein des cartels mexicains, révèle les méthodes scandaleuses des “stups” français.
La procédure “Avoine”
Il n’est plus là pour en parler. Hubert Avoine est mort en octobre 2018. Une procédure porte son nom, qui elle est bien vivace, et en cours d’instruction à Lyon. En 2015, Hubert Avoine décide de sortir au grand jour pour révéler des faits troublants, observés alors qu’il travaille comme informateur pour le compte des “stups” parisiens, l’OCRTIS (Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants). En octobre 2015, il envoie une lettre au procureur de la République de Paris, François Molins, pour dénoncer un certains nombre d’opérations dont il a été témoin ou acteur. Personne ne le prend vraiment au sérieux.
Retour sur le début de l’histoire. Au printemps 2012, l’infiltré est en mission en Espagne. Il garde une villa sur la Costa Del Sol. On lui demande alors de prendre part à une opération visant à démanteler une filière d’importation de cannabis. Sauf que l’opération consiste surtout pour lui à transporter lui-même des ballots de drogues, avec l’aide d’agents des stups… Emmanuel Fansten, journaliste à Libération, décide de raconter cette histoire. “Ça a été un travail gigantesque, raconte le journaliste. D’abord parce que ce sont des milieux fermés, les stups, les milieux trafiquants…Et puis, au début, tout le monde le prenait pour un mythomane.”
“Ce mec est un mytho”
Le couple lanceur d’alerte/journaliste déjoue l’image sulfureuse qui colle à la peau d’Hubert Avoine. Il faut dire que l’homme a infiltré les cartels mexicains, parmi les plus dangereux au monde. “C’est toujours pareil avec les lanceurs d’alerte. Il y a trois moments. Le premier où tout le monde dit : ‘ce mec est un mytho’. Ensuite, on apporte la preuve que non. C’est le deuxième moment. En face on dit : ‘ah oui c’est vrai, mais c’est plus compliqué que ça !’” C’est le début des procédures fleuve, des instructions et des batailles médiatiques. Et le troisième mouvement ? “La fiction digère le scandale, et le rend acceptable par tout le monde.” Finalement, qu’un patron des “stups” élabore un système pour importer lui-même de la drogue ressemble à certains scenarii de la série Engrenages, ou The Wire.
Les rouages qu’Hubert Avoine et Emmanuel Fansten décortiquent dans leur livre, publié en mars 2017, sont surréalistes. Pour générer plus de saisies de drogues, le commissaire François Thierry imagine un système dans lequel ses informateurs suivent les cargaisons et livraisons. Jusque là, rien d’illégal, c’est du travail de police. Sauf quand cette police facilite l’entrée de la drogue sur le territoire. “Si je suis trafiquant, et vous policier, vous avez le droit de m’acheter de la drogue, puis de m’arrêter. Le trafic pré-existe. Si vous me la vendez, c’est une autre affaire,” explique Emmanuel Fansten. L’enquête, toujours en cours d’instruction, cherche aujourd’hui à faire la lumière sur les zones grises de ces méthodes policières.