Antoine Deltour est l’homme qui a révélé les Lux Leaks, un vaste scandale d’évasion fiscale concernant des multinationales comme Apple, Amazon, Heinz, Pepsi, Ikea. Présent au salon des lanceurs d’alerte, il revient aujourd’hui sur son parcours et offre de précieux conseils à celles et ceux qui veulent dénoncer les dérives et les injustices du système capitaliste.
“Habituellement, on me demande de ne pas sourire sur les photos”, glisse Antoine Deltour à la sortie de notre entretien. Il est vrai que son combat contre l’évasion fiscale des grandes multinationales ne se prête guère aux plaisanteries. Pourtant, huit ans après son départ du cabinet PricewaterhouseCoopers, où il a découvert ces pratiques fiscales frauduleuses, connues sous le nom de Lux Leaks, il est aujourd’hui serein et n’est pas avare de conseils envers celles et ceux qui voudraient suivre sa trace.
Sa “carrière” de lanceur d’alerte ne commence pas sur un coup de tête. Antoine Deltour était loin d’être naïf et savait où il mettait les pieds en intégrant ce cabinet d’audit. Sa prise de conscience quant à l’absurdité de son travail a été progressive. “Lorsque votre métier consiste à faire le contraire de ce que vous considérez comme l’intérêt général, on ne peut pas tenir très longtemps”. Avant de se jeter dans la mêlée, Antoine Deltour conseille toutefois de bien s’entourer, de lire des guides, comme celui de Transparency ou du défenseur des droits afin d’éviter de se retrouver dans des situations cauchemardesques : ” il y a des vies qui ont été brisées, certains lanceurs d’alerte vont jusqu’au suicide”. Il soutient également la future Maison des lanceurs d’alerte qui se donne pour mission d’ aider, conseiller et aiguiller celles et ceux qui veulent dénoncer des injustices. Car il faut également penser à “l’après”. “Quand un lanceur d’alerte passe à l’acte, il doit se préparer à se réorienter par la suite. Moi par exemple, je savais que je voulais changer de métier. Je travaille aujourd’hui dans la statistique publique et j’ai le temps de me consacrer à divers engagements”.
L’aspect financier est aussi un élément non négligeable car cela coûte cher d’être un lanceur d’alerte. Antoine Deltour a par exemple déboursé 95 000 euros pour ses frais de justice. Une facture payée grâce à son comité de soutien. ” J’ai été assez ému car j’ai reçu des dons de 50 euros de gens au RSA car la justice fiscale leur semblait un combat pertinent”.
L’évasion fiscale et la justice sociale : un même combat
Quatre ans tout juste après ses révélations concernant l’évasion fiscale, quelques réformes ont été mises en œuvre dans le domaine, sans toutefois modifier en profondeur le fonctionnement du système. “Les petits pas ne changent pas la donne car le cadre européen reste celui de la concurrence fiscale entre les états européens. Ils se font concurrence pour attirer des capitaux étrangers et des investisseurs qui créent des emplois. Au nom de ces emplois, on est prêts à baisser sa culotte. En l’occurrence la culotte, c’est le taux d’imposition. On renonce à taxer les multinationales. Il y a une véritable inertie de la réforme politique face à l’urgence des enjeux”.
Que faire pour réellement changer les choses face cette inertie ? Sa réponse est simple : boycotter les multinationales qu’on est aujourd’hui incapables de réguler. “Il faut arrêter d’acheter sur Amazon et d’aller au McDo. Car d’où vient l’extrême puissance de ces entreprises ? C’est parce qu’on est utilisateur. Le jour où elles n’auront plus d’argent, elles ne pourront plus dicter leurs lois. Il faut développer des structures telles que i-boycott“.
L’ancien consultant relie également justice fiscale et lutte écologique. “On appartient à une espèce qui est en train de se suicider donc payer des impôts ou pas, c’est quelque chose qui est secondaire. Je pense que la réponse aux enjeux écologiques est la même que celle aux enjeux de l’évasion fiscale. Les responsables sont les mêmes : ce sont des milliardaires au dessus des lois”.